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La bulle de savon qui ne voulait pas crever mais qui voulait quand même se balader.

La bulle de savon qui ne voulait pas crever mais qui voulait quand même se balader.

La bulle de savon qui ne voulait pas crever mais qui voulait quand même se balader.

J’ai cette chance immense dans la vie de n’avoir personne autour de moi pour me tirer vers le bas. Ni au quotidien, ni même de façon régulière. C’est à une fréquence très rare que je suis en contact avec ce type de tempérament et ça évite bien des souffrances. Je vois défiler sur les médias sociaux, les messages de ceux qui vivent avec les mêmes défis au quotidien en lien avec l’asperger. Lorsque je lis un trop plein de souffrance, pas très loin tapis, on devine un entourage contrôlant et rempli de préjugés. Déjà que la gestion du tsunami dans ma tête est une bataille perpétuelle, je n’imagine pas la détresse que ce serait s’il fallait qu’il soit nourrit par des commentaires ou des comportements blessants. Ce fut loin d’avoir toujours été le cas, je n’ai pas eu instantanément accès à un environnement aussi serein, mais maintenant que depuis plusieurs belles années, tout est en place pour que je ne côtoie que des gens estimables, je trouve important de l’apprécier.

Hier donc, nous avions un événement chez la famille de mon conjoint. Malgré leur gentillesse, l’idée de la présence d’un bon groupe autour de moi est toujours accompagnée d’une solide dose de stress. Comme ils valent la peine que je fasse des efforts, je tente de tout mettre en place pour que ça se déroule du mieux possible. Si ils n’étaient pas comme ils sont, je ne crois pas que je m’imposerais quoi que ce soit. Je ne vivrai pas en fonction des autres, pas question. Je l’ai trop fait plus jeune. Alors, comme je ne pouvais pas mieux tomber côté belle famille, j’ai l’intention de continuer à leur témoigner de l’estime. Attention, je n’ai jamais dit que ça me permettais d’agir à 100 % de manière adéquate.

Angoisse, retard possible et autre panique pas logique

Donc hier, angoissée face à l’idée d’un possible retard, je vois l’horaire impossible se faufiler devant moi. Je sais à quelle heure je dois amener ma fille à une fête, je sais à quelle heure mon conjoint reviendra du travail et je sais à quelle heure je dois être prête pour l’événement. C’est clair que je ne pourrai pas être là au moment exact auquel on nous a demandé d’être présents. Pour éviter la panique, je me connais, j’avertis qu’on sera en retard. Je le sais, ils le savent, tout le monde le sait et il n’y a aucun problème. Là c’est la logique qui parle. Mais dans les faits, je ne me comprends plus. Ça me turlupine, ça me tourmente, ça prends toute la place. J’entends un tic tac géant au dessus de ma tête, tel l’épée de Damoclès qui saura trouver le chemin vers mon cerveau. Je dois aller mener ma fille à sa destination. On parle d’environ 1 km de chez moi ici… J’imprime la carte, et j’en dessine une aussi pour bien comprendre, je répète à quelques reprises le chemin. Arrivée au lieu de la fête, je ne trouve pas la maison. Il y a bien l’adresse civique au dessus, l’adresse au dessous, mais pas l’adresse que moi j’ai sur mon petit papier. Je cherche un peu, je vais vérifier de plus près à chaque maison si il n’y a pas de logements ou autre chose que j’aurais manqué. Ahhh ? Je fais quoi là ? Comme d’habitude en fait, et malgré toute ma bonne volonté, je ne suis pas dans la bonne rue et je suis perdue. Cherche, cherche, zigzag un peu et paf, je ne sais pas par quel miracle, mais la souris arrive au centre du labyrinthe. Je dépose le petit paquet, ma fille en l’occurrence et je repars.

Il y a, lorsque je conduis, cette gêne mal placée qui fait que j’ai toujours peur de faire attendre les autres. À l’idée de retarder une personne, je m’affole. C’est physique, comme une poussée qu’il y aurait dans mon dos, une pression me forçant à avancer. Ce qui fait que je n’aime pas faire demi-tour. Ça impliquerait que je doive entrer dans le stationnement d’un inconnu pour tourner et me reculer, et j’ai la hantise qu’on arrive derrière moi et qu’on s’impatiente. De plus, si j’ai à faire ça, il y aura peut-être quelqu’un dans la maison qui me verra arriver et qui va croire qu’il a un visiteur. Je crains de créer brièvement une attente et qu’ensuite la personne soit déçue si elle me voit repartir. C’est complètement idiot, mais c’est comme ça que je le vis. Tout ça pour dire qu’au lieu de retourner sur mes pas, j’ai préféré avancer ce qui fait que je me suis perdu avec encore plus d’enthousiasme. Sur les décisions à long terme, je suis dans la logique, mais pour les choses anodines, c’est l’émotion qui décide, et elle n’a pas un très bon jugement.

J’arrive donc à la maison un peu survoltée et plus en retard que prévu. Mon conjoint me voit arriver et oh qu’il me connait bien puisqu’il répète à quelques reprises, avec une bonne variété dans son choix de phrases, de ne pas lui mettre de pression pour le départ.

On va y arriver, courage…

Arrivée là bas, mon conjoint fait le tour de tout le monde pour distribuer ses accolades et ses becs. Comme d’habitude je reste en retrait un peu et ça fonctionne puisqu’on ne m’attaque pas du tout. On me dit bonjour avec entrain mais je n’ai pas à me faire brasser par tout le monde en même temps.

C’est un vrai paratonnerre mon amoureux. C’est le filtre entre moi et l’environnement extérieur, tout comme mes enfants d’ailleurs. Ils écoulent à la terre le fluide émotionnel et les sensations contenues dans l’univers et ainsi empêchent la foudre de me frapper.

J’irai tout doucement, plus tard dans la soirée, parler un peu avec quelques personnes selon comment les choses se dérouleront et si j’ai quelque chose de pertinent à dire en lien avec un sujet précis.

Une excellente stratégie que j’ai développé et qui fonctionne trop bien, c’est d’avoir mon appareil photo. C’est un bouclier d’une efficacité monstrueuse. On ne bouscule pas la personne qui prend les photos. Je peux passer des heures cachée derrière l’objectif à prendre des clichés en rafale et le reste du temps à trier et effacer les images pour libérer de la place sur la carte (parce que j’en prends vraiment beaucoup). C’est astucieux. De plus je peux, par exemple, si je suis en surcharge, aller me coller complètement dos à un coin et y rester un bon moment en guettant derrière l’appareil, une future bonne photo. Si c’est trop intense ou que j’ai un surplus de stimuli, je peux m’éloigner dans n’importe quel endroit inusité et m’affairer à cette tâche. La priorité quand j’arrive, c’est d’installer et de déballer mon matériel.

Le thème de la soirée étant de se déguiser en personnel médical, ma belle-sœur fournissait les costumes. Elle me sort une chemise d’une couleur non saturée et fade que j’examine d’un œil consterné. Devant mon désarroi elle ne fait ni une ni deux et me prête son plus beau sarrau blanc tout neuf qui a encore l’étiquette dessus. J’apprécie trop. Je me serais sentie vraiment trop mal et ça aurait prit toute la place s’il avait fallu que je sois couverte de cette horrible teinte. J’aurais eu l’impression de traverser un filtre de grisaille permanent.

L’essaim étant principalement agglutiné dans la cuisine, je me suis assise au sol, en retrait avec deux des bébés. Dès que je stresse un peu j’ai juste à flatter la tête et les cheveux tellement doux de ces petites choses pas « épeurantes ». Je les bombarde de clics et je pourrai faire parvenir les photos à leurs parents respectifs. Ma belle sœur lance une petite blague sans méchanceté sur ma bulle mais ne passe pas à l’attaque de celle-ci donc tout va bien.

Chacun devait participer au souper en amenant des bouchées ou autre. J’étais responsable entre autre des petits pâtés pour les enfants. Mais comme à l’habitude, trop affairée à tout installer pour ne pas me sentir trop mal d’être en groupe, j’ai oublié la nourriture dans l’entrée et je n’ai pas fait cuire les pâtés. C’est tout moi ça. C’est l’heure de manger pour les enfants. Ils ont bien leurs crudités, mais pas de pâtés. Je coupe des tranches de pain. Ils vont survivre j’imagine. Je tente de dédramatiser mais j’avoue que je me sens coupable.

Je deviens donc très tendue, particulièrement à partir de ce moment là. Je ne suis pas trop fière d’avoir négligé la minuscule tâche qui m’incombait. Je ne sais plus comment le sujet est venu, mais je tente d’expliquer que j’ai eu une semaine bien trop stressante et que j’ai de la difficulté à gérer. Je parle donc du dentiste lundi, de l’hôpital mercredi et d’une autre  »affaire trop stressante » mardi. Lancée dans mon énumération, je sous-estime la curiosité de mon beau frère qui me taquine en disant,« C’était quoi mardi, c’était quoi mardi ?» Dès lors, je tente tant bien que mal d’endiguer l’inondation qui arrive vitesse grand V, mais il n’y a rien à faire. J’ai l’impression d’être un verre qu’on tenterait de remplir à l’aide du boyau d’un pompier. L’eau ne va pas rester en place. J’éclate en sanglots et cours à la salle de bain avec les hoquets et tout le tralala. Ma belle mère vient valider qu’il n’y a pas de véritable drame qui se joue, et je lui mentionne que non, c’est juste moi, pas de facteur extérieur, juste un trop plein d’émotions ingérables. Soulagée qu’aucun d’entre nous ne soit à l’article de la mort elle retourne à la salle à manger. Le groupe tente gentiment de me faire rire, mais à la moindre mention du mot mardi les larmes viennent rejoindre leur congénères. Mise en contexte, mardi c’est quand j’ai décidé que ma psy et moi, on ne faisait pas une bonne équipe et que j’ai convenu de ne pas y retourner. Mais ça ne se dit pas alors je reporte la boule plus loin dans mon corps et lui demande avec ferveur de bien vouloir rester tranquille. Lorsque je pense enfin avoir repris le contrôle de mes incoercibles émotions ça sonne à la porte.

Digne d’un roman savon, ou d’une mauvaise pièce de théâtre d’été, qui vois-je que je n’attendais pas du tout aujourd’hui, monsieur le gentil dentiste et sa conjointe. Oh non, oh non, oh non, je recommence à pleurer de plus belle et je ne peux plus me contenir. Je croyais avoir le temps de me remettre émotionnellement de mon rendez-vous de lundi avant de le revoir. Il semblerait que je ne m’en sortirai pas aussi facilement. Mon conjoint attend donc que je me calme les nerfs un peu et ensuite il me dit qu’il faut que je lui parle, pour désamorcer. Au début je ne suis même pas capable de le regarder, mais tranquillement je fini par y arriver et effectivement, ça calme l’agitation qui me secoue et ensuite ça va mieux. Un jour ou l’autre il va bien falloir que j’explique autour de moi le comment du pourquoi je suis aussi intense et tendue, mais je ne suis pas encore rendue là dans le processus. Je sais une chose par contre, j’ai l’impression qu’ils vont m’aimer quand même.

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