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Docteur, parlez-vous ma langue ? Description de base de l’affaire stressée qui est de l’autre côté de votre bureau.

Docteur, parlez-vous ma langue ? Description de base de l'affaire stressée qui est de l'autre côté de votre bureau.

Docteur, parlez-vous ma langue ? Description de base de l'affaire stressée qui est de l'autre côté de votre bureau.

Hier, après quelques semaines d’attente, je devais rencontrer mon médecin pour discuter avec lui du fameux rapport de la neuropsy. Je lui ai préalablement envoyé le document par télécopieur pour ne pas avoir à affronter ses diverses réactions possibles lors de la lecture. Dans ces treize pages, j’ai l’impression qu’on a mis ma vie en conserve dans une tentative maladroite de recette ratée pour en faire une sauce simpliste et sans substance. En quelques mots on tente de résumer de grands pans de ma vie et le choix des termes ne me convient pas toujours. Je me conforte en me disant que ce n’est pas le roman de ma vie qu’on va publier. Calmons-nous ! Mais la brève mise en contexte des diverses difficultés rencontrées, la liste trop rapide, me donne l’impression d’être une énumération de désastres. J’espère donc ne pas être présente lors de la lecture. Seules les deux dernières pages selon moi sont dignes d’intérêt (diagnostic) puisque ce sont elles qui me permettront d’avancer. Je fais un petit paquet compact de mon orgueil et le lance au fond de mon sac.

Me déplacer chez le médecin est un tel stress à chaque fois. Je serai Alice rapetissant inexorablement et je m’enfoncerai dans ma chaise en voyant l’être devant moi devenir de plus en plus grand et imposant à mesure que la conversation avancera. C’est certain. J’aurai l’impression d’être scrutée à la loupe coincée dans une cage étroite dans laquelle l’oxygène se raréfie. Mon amoureux tente de me rassurer et me mentionne que le docteur m’aime bien en fait, et qu’il demande toujours de mes nouvelles. Il parait même qu’il me trouve drôle. Mais moi, je trouve quand même ces rencontres terriblement oppressantes.

À la recherche du truc qui cloche

La situation, c’est qu’il le sait depuis longtemps qu’il y a un truc qui cloche chez moi, alors il tente toujours de me piéger pour déclencher des réactions inadéquates afin de trouver des indices qui lui permettront de mettre le doigt sur le problème. Ensuite il demande à chaque fois : « Pourquoi tu réagis comme ça ? ». Je fini par pleurer à tous les coups même sur les sujets les plus anodins. Dès qu’il me pose une question simple je fige et j’oublie tout. Il veut connaitre le nom de ma pharmacie et Hop ! C’est le néant dans ma mémoire. J’ai un grand rideau devant une information que je connais très bien et à laquelle je n’ai plus accès. C’est le magicien de l’oubli. À chaque fois il se fâche et il a l’impression que je ne coopère pas. Il m’observe boire ma gourde d’eau comme si ma vie en dépendait et ça le chicotte. Il parait que les diabétiques font ça alors il cherche, il investigue mais je n’ai pas de problèmes de sucre, je suis juste beaucoup trop stressée. Bref, j’anticipe chaque rendez-vous et je m’imagine qu’il est un grand méchant terrible monsieur.

Enfin comprendre.

Pourtant, cette fois ci, le rapport en main, il n’est pas comme à l’habitude. Il est tout calme, limite triste. Il comprend enfin. Ça fait des années et des années que c’est notre médecin familial et il a toujours essayé de me cerner sans succès, il est déçu d’avoir passé à côté. Il me mentionne qu’il ne connait pas ça du tout l’Asperger, qu’il n’aurait jamais pu s’en douter parce qu’il ne possédait aucune expertise à ce sujet. Et ensuite, aux quelques réactions qui d’habitude lui font dresser les cheveux sur la tête il réagit juste à la perfection. Enfin.

Malgré toute sa bonne volonté ça ne calme pas mon stress. J’ai de la difficulté à m’exprimer clairement, je piétine, j’ai soif et j’ai la boule dans la gorge. Je répète : « Ok, faut que j’focusse, faut que j’focusse. » Oui, c’est du mauvais français, mais c’est tout de même ce que je dis parce que le mot est trop parlant. L’autre problème lorsque je vais chez le médecin c’est que je sais que je n’aurai pas de chance de me reprendre. Normalement, dans la vie courante, j’accumule l’information et je l’écoute ensuite. Plus tard. Quand je me couche, je fais un retour sur toutes mes conversations de la journée, je les analyse de fond en comble. Je place en réserve tout ce qui est resté en suspens, qui demande un suivi ou une réponse de ma part et je répare le lendemain. Si j’ai dit une stupidité, que je me suis mise dans le trouble ou que je n’ai pas répondu à quelque chose d’important je fais le suivi. Chez le médecin ça ne fonctionne pas comme ça. C’est maintenant ou jamais. La pression est trop grande, je perds mes moyens. pas le temps de tout analyser. Je tremble comme une feuille. Oh que je déteste cette sensation de non-retour.

Il me pose quelques questions pour savoir si j’ai commencé les démarches recommandées auprès d’une psychologue. Il veut noter son nom que bien entendu, j’ai oublié momentanément, mais cette fois il ne me dispute pas. Il mentionne que c’est difficile d’établir une relation de confiance et je grimace sur cette phrase. Je ne sais pas si ce sera possible. Il dit : « Mais on a une relation de confiance, nous ? » Ah, cette manie de dire la vérité. Je réponds donc en vitesse à quel point j’ai une peur bleue de venir à son bureau et que je n’en dors pas. Là il est déçu pour vrai ce qui ajoute une belle épaisseur d’enrobage à ma culpabilité.

Je sors donc du bureau toute tremblotante avec les yeux rougis et enflés. Je ne devrais pas parce que somme toute, ça s’est bien passé mais c’est plus fort que moi. Les feuilles servent presque d’éventail tellement mes mains ne sont pas stables. Je tente de me concentrer sur les quelques pas qui me séparent du garde-robe pour y récupérer mon manteau. Je dois traverser la salle d’attente sous les regards que je tente d’ignorer, mais comme il n’y a rien d’autre à faire, on m’observe et moi je panique encore plus. Les tremblements s’amplifient à un point tel que je tire n’importe comment sur le fermoir de mon manteau et tout reste coincé. Plus moyen de l’ouvrir. Et là, je le sais que le monsieur à côté me regarde trembler comme ça et qu’il croit que je suis atteinte d’une terrible maladie du système nerveux rendant les mouvements incohérent. Il semble découragé et me propose son aide pour le manteau, ce que je refuse moins gentiment que je ne l’aurais souhaité. Très honteuse, je suis vraiment trop mal à l’aise pour faire mieux. Je me sauve en direction de mon véhicule, je positionne le volume de la musique assez haut pour réveiller les morts. Je tente de me calmer et ne suis pas du tout fière de moi… Pourtant, malgré tout c’est positif, dorénavant je sais qu’il va comprendre comment je fonctionne et qu’au lieu de m’essorer dans son extracteur, il va y aller avec moins de pression mentale et plus de calme.

Ça avance. Les choses progressent et se mettent en place pour que ma vie soit plus simple. Cette réponse, l’Asperger, est la meilleure chose qui pouvait m’arriver. C’est un livre d’instruction, une compréhension et une acceptation de qui je suis. Je suis tentée de dire que c’est fini de me battre contre moi, je vais dire les choses et tenter de travailler en équipe avec mon être. Belle résolution. On verra si c’est faisable.

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