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La nomination du monstre le fait rapetisser. Ou pourquoi nommer notre ressenti.

Nommer ce qu'on ressent.

La nomination du monstre le fait rapetisser. Ou pourquoi nommer notre ressenti.

Le monstre que l’on ne voit pas, forme tapie dans l’ombre est définitivement plus effroyable, car l’imaginaire, fier fabriquant d’idées épouvantables nous empire toujours tout. On l’affuble d’horribles cornes qui n’existent que dans notre esprit et sa taille est exponentielle. Ce texte n’est pas une ode à l’affrontement de nos peurs, je serais bien mal placée pour prétendre réussir cette acrobatie de la vie. C’est seulement que le petit exercice d’identification des sources de panique commence à donner des résultats. Dès que je sens l’anxiété avancer ses tentacules obscurs, je me précipite sur l’interrupteur de l’information claire. Parfois, la vision éclaircie permet d’afficher un simple gnome vert à pois roses que je peux tenter d’affronter à armes égales. Mon conjoint m’a proposé une belle formule magique pour me doter d’un avantage sur l’adversaire. J’aurais probablement pu y penser avant, car cette super méthode est suggérée dans une panoplie de romans fantasy. Il faut nommer l’intrus par son nom et soudain une partie de ses pouvoirs le quitte. Mon amoureux appelle cette incantation :  »Nomme-le ! ».

Mise en application de la dénomination de l’épouvante.

Club photo. Fin de la soirée, le lieu est pratiquement vide et presque tout le monde a quitté lorsqu’avec mon amie nous formons un groupuscule de quatre personnes, elle dit que nous sommes en cercle, moi je trouve que c’est plutôt un carré, mais là n’est pas le sujet.  C’est calme et propice à ce que je me sente en contrôle puisque le taux d’occupation d’êtres au mètre carré est à son minimum. Grand lieu presque écho de non-présence.  Rien dans mon dos, peu de bourdonnements de conversations multiples m’envahissant tel un éternuement sur un pissenlit. Moins d’odeurs, diminution des vibrations de toutes les provenances, possibilité presque nulle de contact inattendu, je commence à relâcher l’hyper vigilance dont je dois faire preuve en permanence. Je suis contente. J’entame, avec succès, une conversation avec un gentil monsieur. Malgré les mots qui sautillent en haut de sa tête pour faire coucou à mon cerveau trop sensible j’arrive à converser de façon quasi normale. J’ai le cœur qui croit être attaqué par un ours affamé et j’ai cette impression permanente d’être dans une partie d’échecs dans laquelle je joue ma vie, mais je fais d’excellentes percées et la conversation tient le rythme. Mes frissons s’emballent, car lorsque j’y arrive je me transforme en exagérément contente. Je vais garder le rythme, j’y arriverai, c’est parti, j’y suis… je suis hyper focalisée, complètement absorbée dans l’exercice que je vis avec intensité et implication lorsque soudain mon amie décide que le positionnement de nos diverses entités n’est pas optimal pour un bon échange.

Apparition du monstre.

Plus de son, plus d’images, un voile lourd et opaque embrouille sons, filtres, séquences de mots et me recouvre de pétrole gélatineux. Panique. Tout ceci se déroule en une immense et longue série de quelques étirables et élastiquables secondes d’une lenteur à faire pâlir un lamantin. Durant ces instants lourds d’anticipation d’un problème potentiel, j’entends la devise du chéri me frapper de sa logique. « Nomme-le ! ». Ce que je fis. Ce que je dis. « Là vous m’avez changé de place, donc je suis bloquée, ça m’a toute mélangée puis je ne sais plus quoi dire, je n’ai plus d’idées. » Agrémenté d’un début de sourire déboussolé cette simple phrase me sauve de l’épreuve. J’ai nommé le vilain, j’ai identifié l’intrus, j’ai annoncé aux personnes en face de moi que j’étais coincée. Plus besoin d’avoir envie de pleurer. J’ai droit à la pause bien méritée de celle qui sort épuisée d’une bataille. Si invisible et brève fut-elle pour mon interlocuteur, je ne l’ai pas moins vécue et vaincue. L’énoncé si simple fût-il m’empêche d’encore me fermer sans annonce, et ce de manière soudaine. Je peux reprendre mes esprits, reclasser les informations qui pour l’instant me submergent dans leurs petites cases respectives. Une fois le tri effectué et lorsque la montagne de données redescend je peux reprendre l’échange. Il demeure un défi, mais il est dégriffé.

Abracada-zut

Ce n’est pas une recette universelle et parfois l’énoncé tombe à plat. La semaine dernière je me décide enfin à envoyer mes photos pour l’exposition du club. Je lis le nombre de petits pixels demandés et un gentil petit rectangle se forme au-dessus de ma tête… je continue ma lecture pour parvenir à la mesure proposée, mais cette fois en pouces ce qui propulse immédiatement un nouveau rectangle, mais il arrive vite et il est fâché. Il tente de se superposer au précédent, mais sans succès. Ils sont différents. Non proportionnel. Pas jumeaux. C’est la panique. Je suis devant mon ordi et des années de reproches aux professeurs me rappellent qu’on ne doit pas corriger les gens. Pourtant, il y a inexactitude. Le ratio n’est pas bon et certains pourraient être induits en erreur, c’est viscéralement impossible de n’avoir aucune réaction. M’empêcher de relever la donnée fautive c’est de me demander de maintenir les yeux ouverts face à un coup, c’est hors des possibilités à ma disposition. Erratum égale nécessairement rectification.

Mais ça se passe agréablement au club, il y a même des gens qui m’aiment bien, puis moi je vais les critiquer là. Je le sais. Je me mets alors à trembler de manière incontrôlable et j’entends la fameuse super-solution. « Nomme-le ! ». Je me précipite en panique vers l’amoureux qui lit les actualités pour réclamer une communication. Je suis submergée et j’ai juste envie de pleurer. « Chéri ! Pourquoi ça fait ça ? Je le nomme là ! » Je le cherche mon monstre qui me fait tant réagir, mais il reste sous forme d’ombre et je n’ai aucune prise sur lui. Je ne sais pas identifier ce qui à cet instant me place dans cet état ridicule. Juste maintenant en l’écrivant, je peux très bien me rendre compte du goût qui change dans ma bouche, de la pression sur le sternum, des douleurs dans les oreilles et de cette sensation de danger mélangé à de la peine. Je nomme, je nomme, mais cette fois-ci ça ne fonctionne pas. Je suis bien forcée de constater que la formule a un malus caché et que parfois elle ne produit pas la pétillante étincelle de lucidité espérée. Je l’écris en espérant recevoir l’éclair de génie de la compréhension en plein front, mais non, pas aujourd’hui. Sujet non clos.

Trucs, astuces et autres bidules « trippants » enfin disponibles.

C’est ça qui est génial avec un diagnostic, on donne un mot à notre envahisseur intérieur, et son appellation le dédramatise, lui donne une substance. J’ai un autisme de type Asperger. Voilà tout. C’est nommé. Maintenant je peux utiliser ces quelques mots, les glisser dans un ordinateur et avoir accès à une foule de renseignements, de données, de trucs, de propositions pour m’aider et me guider dans l’approche et le contact avec ce fait qui peut faire peur.

Hier, un homme m’a contacté pour me confier voir des couleurs d’une manière assez spécifique que les autres ne peuvent percevoir. Sa conjointe l’avait guidé vers mon blogue et il se retrouvait dans l’ensemble de mes propos, à quelques détails près. Mais moi, je ne vois pas de teintes apparaitre comme information supplémentaire.  Ceci lui faisait peur. J’ai avancé un mot, synesthésie, un mot que personnellement je trouve fantastique. Certaines personnes ont cette faculté inusitée de percevoir des couleurs en lien avec des choses qui normalement ne devraient pas l’être. J’ai peut-être nommé son monstre. Synesthésie. Je lui ai proposé d’aller lire à ce sujet. La prévalence de ce merveilleux phénomène serait trois fois plus élevée chez la population autiste*. J’ose espérer que d’avoir apposé un possible mot sur sa situation l’aidera à comprendre ce qu’il vit. Du moins, il pourra maintenant aborder le sujet avec un professionnel sans craindre de passer pour un cinglé.

Mon nouvel objectif pour les mois à venir, nommer plus rapidement mes ressentis, mes peurs et mes paniques. Ouvrir la porte à un partage de ce qui se passe dans ma tête. Au lieu de me refermer à chaque fois dans ma solitude nécessaire sans avertissement, simplement énoncer le besoin, l’expliquer et peut-être même le justifier. Mon entourage sera moins mal à l’aise si j’ai soudainement besoin de pleurer, de prendre une pause ou de poser un geste étrange. Ça me permettra d’éviter quiproquos et malaises inutiles.

*https://www.autism.com/trans_french_SynesthesiaMoreCommonInIndividualsWhoHaveAutism

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