Bleuet atypique

Autisme et gestion des imprévus. Taux d’efficacité ? Bof…

Gestion des imprévus, difficulté chez la personne autiste asperger

Mon cerveau est si bien ordonné. Tout propre, comme dans mon ordinateur. C’est fiable le classement, ça permet de savoir comment seront les choses, d’anticiper, de prévoir des schémas de conversation. J’y travaille très fort à ce classement puisque grâce à lui, je peux réviser et réviser en boucle ce qui arrivera et quand. Comme ça, je fonctionne bien. Mon inconfort est moins visible, je décale moins. C’est rigolo, parce que parfois, la réalité se colle complètement à mes prévisions telle une image transparente et ça me plait. Plus l’image finale est près de celle imaginée, plus je suis calme, sinon, ça crée ce dédoublement, cette incapacité à superposer ma préparation à la situation en cours. Et lorsqu’on voit flou, on est toujours à essayer d’ajuster notre vue, à forcer nos yeux. C’est comme ça que je me sens. Je me retrouve dans un monde flou et je dois y avancer sans hésitation, ce qui n’est pas possible. Le cerveau autiste n’est pas formaté pour les imprévus.

Voici comment l’imprévu, tout simple, peut nous déconstruire.

Quelques minutes avant son départ pour l’école, mon fils me demande pour commander un article en gros rabais sur le Web. À cause du fort achalandage, la transaction échoue et je ne peux la refaire sans lui car je n’ai pas noté le produit désiré.  On a ici le facteur temps, je ne peux pas répondre à son besoin dans le temps imparti, la mission est impossible. Stress. Mais surtout, à ceci s’ajoute le facteur tâche entamée et non complétée.

Se situer dans le temps

Les gestes commencés nécessitent une fin ou encore, d’avoir une prévision nette de leur emplacement sur la ligne de temps. Mon fils est parti et ma tâche ne trouve pas son fil d’arrivée. Angoisse. Je me répète avec conviction, arrête de délirer ! personne n’est blessé ! mais mon ventre tourne et se tord. Sans cesse, comme un coucou maléfique l’appel du but que je m’étais fixé refait surface. J’arrive un peu à mettre ça de côté pour travailler, mais la sensation me ronge. Je passe en mode pilote automatique et je traite mes autres tâches comme une zombie, mécaniquement sans intégrer complètement mon corps, parce que maintenant, il me crée un trop grand inconfort avec ses entrailles qui ondulent dans tous les sens.

Le temps

L’heure du midi arrive, mais cette ridicule problématique m’a complètement siphonnée. Je suis exténuée. Je suis parallèle à mon corps, mais pas vraiment synchronisée, c’est du grand n’importe quoi. J’oublie donc de mentionner aux enfants que nous avons un conflit d’horaire et qu’ils doivent prendre un taxi le soir. Mais je ne m’en rends pas compte tout de suite…

15 h, rien n’est réglé, le siphon se creuse et l’angoisse grandit sans que je comprenne trop comment gérer. Mes huit heures de travail sont accomplies, j’ai la permission de tenter de m’occuper de ce corps qui déraille. Je dépose mes écouteurs coupe-sons bien serrés sur ma tête. Je m’enveloppe le plus possible dans une couverture et je tire sur les côtés jusqu’à ce que je sois bien immobilisée. La pression entame son processus et je sens un léger relâchement pointer avec espoir.

Les imprévus se cumulent, tranche par dessus tranche

C’est là que je réalise ma bévue. J’aurai, si mon ainé passe à la maison au lieu d’aller directement à son sport, une plage de sept minutes pour lui expliquer la situation. C’est jouable. Mais c’est une nouvelle partie du casse-tête qui vient de prendre la fuite et le malaise reprends sa place, il la connait si bien, il s’engouffre avec aise. Je l’entends la respiration qui s’accélère, mais elle est hors d’atteinte, elle fait bien ce qu’elle veut.

16h08. Le sport de mon ainé est annulé pour lui, je devrais normalement aller mener mon plus jeune en même temps que lui avec un départ à 16h15, mais si je vais le mener et que sa sœur n’est pas rentrée, il se retrouvera seul pour revenir en taxi et je le trouve trop petit, impossible. Et si jamais elle n’est pas allée directement au sport, elle arrivera à 16h30, heure à laquelle l’entrainement commence en fait. Dans tous les cas, nous serons en retard. Retard et autisme sont incompatibles, irréguliers, c’est comme un mensonge à la vie. Mais je vais tenter d’en faire abstraction.

C’est semblable à lorsque vous avez vraiment très froid, la raideur extrême dans les mâchoires, la contraction de tout ce qui peut l’être, les tremblements, tout ça s’installe, avec les oreilles qui se bouchent de plus en plus comme si on me tirait vers l’intérieur, que j’étais un remous inversé et que j’allais m’engloutir dans ma gorge. Je. Suis. En. Panique.

Mon conjoint me dit d’arrêter de capoter, de faire le spaghetti et qu’à 16h30, si notre fille n’est pas là, il ira porter son jeune frère et on pourra ainsi lui dire qu’elle doit revenir en taxi avec lui. 16h30 pile, le téléphone sonne. Puis il répond. Je crois que si mes yeux avaient pu me sortir des orbites ils l’auraient fait. Il ne part pas, il parle au téléphone. Pour vrai. Vrai de vrai. Tic tac, tic tac… Je tourne autour mais je l’énerve plus qu’autre chose.

Je remonte. Je marche le plus vite que je peux en disant à vois haute : T’as pas le bras cassé, personne n’est mort, arrête ! Il n’y a pas de guerre nucléaire, juste un problème d’horaire, arrête ! Je lui parle à celle qui a l’air de prendre le mauvais contrôle, mais non, zéro coopération. C’est très physique. Ma tête, elle veut se calmer, mais l’alerte au corps est lancée. Pour moi, imprévu égal danger. C’est un plus un. Mon corps et ma tête ont une entente. Lorsqu’il faut réagir, lance-moi de l’adrénaline et comme ça je pourrai peut-être te sauver la peau. Le problème c’est que cette adrénaline là, si elle s’accumule, c’est comme si vous preniez 50 cafés et qu’on vous brassait ensuite dans tous les sens.

Prévoir, imaginer et prévisualiser sont essentiels

Les autistes aussi ont besoin d’une énorme dose de prévisibilité. Non seulement dans le quotidien, dans nos conversations, dans nos interactions, partout.

Chez moi, cette recherche de régularité va jusque dans mes choix vestimentaires. Motifs nets, répétitifs, bien contrastés, toujours égaux, ça me calme… c’est magique. Je trouve même cela artistique et d’une exquise beauté. Son contraire, l’imprévu, le changement non préparé est hideux et déstabilisant. Cumulé, il ne s’agit plus d’inconfort, c’est la désorganisation de mon être qui s’installe. Discordance. Réalité imaginée et réalité vécue ne se superposent plus.

Un fil me retient encore à moi, mais depuis  un bon moment je pleure sans pouvoir me contenir. Je tente une nouvelle approche, assise en indien, sur mon lit, dans le noir, je tente de ressentir mes jambes, mes bras, je les frotte, je m’installe de manière symétrique afin de retrouver un semblant de cohérence dans mon corps. À 17h05 mon conjoint devrait être revenu, mais ce n’est pas le cas. Je m’inquiète, je pleure de plus belle et j’ai le souffle de plus en plus court.

Lorsqu’il arrive enfin, il entre dans la chambre brusquement en ouvrant la plus intense des lumières et j’apprends qu’il s’est frappé à des portes closes, que l’établissement est barré en sections séparées le soir pour protéger les enfants à l’intérieur et qu’absolument tout s’est mal déroulé allant même jusqu’à la mauvaise surprise de réaliser que le véhicule de courtoisie n’était pas prévu pour la neige, ce qu’il a appris à ses dépens lorsqu’il a vainement tenté d’appliquer les freins. Il est donc tendu, pas vraiment avec une super belle propension à l’écoute, impatient et stressé, puis ça ne lui tente pas de me voir dans cet état.

L’effort déployé est immense. De toutes mes forces, je tente de contenir la vague. J’ai tellement l’impression d’être en pièces détachées, comme si j’étais en plein centre d’un voilier et que chaque morceau tentait de prendre sa direction, plus d’harmonie, plus de coopération, c’est l’éclatement, je me fragmente. Les mains sur les oreilles je presse le plus fort qu’il m’est possible de le faire et je sais que je fais un son. Je me déconstruis, effondrement émotionnel, c’est le gouffre.

À 18h07 c’est terminé, comme si c’était le matin et que je venais de me réveiller, mais complètement épuisée, triste et honteuse. Tout est pâle, tout est calme, la crise est bouclée. Mais elle a encore eu lieu et je m’en veux. Je suis déçue de moi. Je passerai donc la semaine à tenter de comprendre, à élaborer de nouvelles solutions pour si les imprévus s’enchainent et j’apprends.

J’ai lu et relu que je ne suis pas la seule, que les personnes avec autisme ont ce grand besoin de concordance entre le prévu et la réalité. Que ce sont les bases mêmes de notre stabilité qui se retrouvent ébranlées lorsque les imprévus s’enchainent. J’ai fouillé pour des trucs, des astuces, des moyens de me moduler lorsque tout cela survient, mais les quelques pistes trouvées n’ont pas été fructueuses. J’ai parcouru d’autres blogues, le message est unanime et avec d’autres mots que les miens ont ne faisait que me répéter ce que j’ai écrit ici… du copié-collé. Seule la trame varie.  Partout, l’ode à la routine et la haine des imprévus, mais pas de solution. Mon réconfort est que j’y ai lu que des personnes raisonnables, posées et réfléchies qui ont aussi un diagnostic d’autisme semblent rencontrer le même défi à ce niveau. Non pas que ça me donne envie de cesser de chercher des solutions, mais je me dis que je suis normale dans mon anormalité… rire. Ça c’est rassurant.

Et la solution dans tout ça ? Les autistes peuvent-ils devenir tout calmes face aux imprévus ?

Je décris ici la problématique. De l’intérieur, avec mes yeux. Mais je ne veux pas m’arrêter là. Je ne crois pas à ça que ça ne puisse pas être amélioré. Pour l’instant, mes pistes de solutions, les éléments qui aident sont les suivants : musique, pression profonde et coupure des stimuli. Ces trois facteurs semblent faire pencher le balancier vers un retour au calme, mais leur impact est encore trop faible. Les aspies qui me lisent, partagez-moi vos idées, je suis preneuse. La seule qui pour l’instant ne m’est pas accessible est la méditation, elle me fait paniquer. N’insistez pas.

Souvent mes textes sont tout positifs, des fois moins. Mais ce serait malhonnête de faire du : ma vie c’est la plus belle et l’autisme j’en suis toujours fière. Ce n’est pas réel. Ce qui est réel c’est que des jours c’est insupportable. Mais ça permet d’apprécier les jours magiques, ceux lors desquels je me sens bien en phase avec moi, dans mon élément, ceux où je peux me servir de mes forces et que l’unicité devient une alliée. Mais une journée d’imprévus, non, ce ne sera pas une de ces belles odes à la différence. Mais promis, la prochaine fois que je sens mon élan créatif être doublement stimulé par ce fonctionnement particulier ou encore lors de la prochaine super victoire ou amélioration, je vous écrirai un beau texte plein de Calinours* et de papillons et ce sera sincère. Comme d’habitude. Ça l’est toujours.

* Bisounours pour nos amis français

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