Effervescence. Quelqu’un a tourné la manivelle de ma volubilité.

Au royaume d'une Aspergirl (autiste asperger) photographie

Mardi soir. Club photo. Je n’y vais pas toutes les semaines. Non, non, non. C’est variable, selon comment je me sens. Souvent en surcharge, si j’ai côtoyé trop de gens ou que j’ai les sensations à fleur de peau, je m’abstiens de me présenter en ce lieu. Ça ne ferait qu’exacerber mon angoisse et je serais sans doute désagréable. Comme ce n’est nullement une obligation, je peux me permettre de ne montrer que mon bon côté givré et je garde donc le côté sec et sans saveur bien caché, en sécurité.

Ce soir c’est le bon soir. Depuis jeudi, je suis en feu. Je suis revenue de la Zumba en pleine crise d’hyperactivité et l’énergie est encore à tambouriner pour sortir par les moindres pores de ma peau. Je suis trop réveillée. Amenez-en des montagnes, je vais les pelleter à la petite cuillère. Durant ces périodes-là, je ne dors plus du tout, alors ça va finir par redescendre, mais pour l’instant j’ai deux ans et je suis tombée dans un sucrier géant.

Le club photo

Deux points majeurs font du Club photo un endroit pas trop paniquant. Premièrement, une amie vient me chercher à chaque fois. Ma maison est sur son chemin pour vrai alors je ne culpabilise pas trop. Si je devais conduire, le soir en plus, j’irais bien moins souvent, sinon pas du tout. À la moindre intempérie, je resterais sagement chez moi. Elle vient donc me cueillir à la porte et supporte tout le long du chemin les multiples rappels à la sécurité que je lui fais. Chacun est suivi d’une excuse et d’un petit repentir, mais je ne peux m’empêcher de commenter les priorités et autres subtilités de la conduite automobile. Je ne sais pas comment elle fait pour m’endurer. C’est physique, il m’est impossible de ne pas le faire, sinon, je serais comme une bouilloire bouchée et je finirais par exploser sous la pression du trop-plein qui veut trouver une sortie d’urgence pour évacuer sa pression.

Ensuite, ce n’est pas un groupe avec une moyenne d’âge très basse. Il y a beaucoup de retraités entre autres. J’ai l’impression qu’en vieillissant, les gens sont de moins en moins stressants et envahissants. Ils n’ont plus rien à prouver, ils ont vu neiger. Ils sont donc plus naturels et moins en compétition les uns contre les autres. Pas toujours, mais souvent. Le club photo est donc un endroit relativement calme avec des personnes ouvertes et un peu artistes. Ils sont presque tous plaisants.

Ce mardi. Parano.

Lundi, comme à l’habitude, j’envoie un petit mot Facebook à mon amie pour lui mentionner que je désire être présente cette semaine. Pas de réponse… Je regarde Facebook ce matin en me levant, toujours pas de réponse. Habituellement, c’est une rapide sur le clavardage… je m’inquiète. Et là, la machine décolle. C’est l’heure du souper, son silence est tout sauf normal. Je me dis que peut-être qu’elle en a assez, que je suis trop intense, trop stressée, trop en ébullition tout le temps ? L’autre jour elle m’a dit qu’elle se sentait un peu comme ″protectrice ?″ ou ″responsable ?″ quand on allait au Club photo et qu’elle guettait tout le long pour voir si j’étais correcte et si tout allait bien. D’un côté, j’ai trouvé ça gentil, mais d’un autre côté, je me sens vraiment honteuse. Elle va là pour relaxer et s’amuser, pas pour prendre soin d’une paniquée qui a de la difficulté à s’endurer en groupe. Tout ça pour dire que j’imaginais déjà la conversation d’elle en train de me dire que je lui prends trop d’énergie ou autre chose du genre. Je préparais déjà les réponses, ou les non-réponses plutôt. J’en suis venue à la conclusion que si cette situation se matérialisait, il ne fallait répondre que par une série de ″ok″ sur un ton neutre. Ce serait alors la seule manière de traverser émotionnellement ce tumulte.

Me voyant créer cette belle paranoïa, j’ai eu tout à coup une idée. On peut voir depuis combien de temps les gens sont en ligne. Plus d’une journée ! Oh, non, ce n’est pas normal, elle ne va pas bien… c’est certain. Je cherche parmi ses amis si certains on ″posté″ un accident ou autre, non, rien. Je cours sur le Facebook de son conjoint, ne voyant rien non plus, je le demande en ami, comme ça s’il se passe un truc, il va me le dire. L’horloge avance, plus qu’une demi-heure avant le départ. Plus capable… je l’appelle et je demande avec presque un ton accusateur si elle fait une pause de Facebook ? Finalement, elle viendra me chercher. Je l’attends dans l’entrée.

Tout à coup c’est la panique, mon vêtement est désajusté et je n’ai pas le temps de tout enlever afin de le replacer adéquatement. Je fonce dans ma chambre et j’appelle ma fille en renfort avec un ton d’urgence dans la voix. Elle se présente avec une casserole à la main, je l’écris maintenant, mais je me demande, que faisait-elle avec une casserole ? Aucune importance, je lui dit d’abandonner sa casserole immédiatement, j’ai besoin d’aide, il faut réajuster les élastiques de fille rapidement, vite, maman n’est pas confortable ! Elle répare le tout. Je demande à quelques reprises si c’est bien symétrique et elle confirme. Je suis sauvée et je retourne dans l’entrée. Deux secondes après je ne me sens pas bien. J’ai envie de relaver encore mon visage, mais je n’ai pas le temps d’à nouveau délasser mes bottes au complet, je cours donc à la salle de bain en vitesse (avec les bottes) et je retourne ensuite attendre. Mais oups. Sur mon visage tout propre je sens mes lunettes qui n’ont pas été lavées depuis le matin, je recours laver ma deuxième paire d’yeux et je reviens en panique, car je crains de faire attendre mon transport. D’ailleurs elle arrive. Advienne que pourra, je ne peux pas ajuster quoi que ce soit de plus, je quitte.

Ramollir le corps, calmer l’esprit. Pas évident.

Je le sais que je suis bien trop rigide quand j’entre quelque part. Je tente de rendre mou un morceau ou deux de mon anatomie, mais ça ne fonctionne point. Je passe donc un certain temps plantée au milieu comme un piquet avant de parvenir à enlever mon manteau et à interagir un peu. Je tente de me diriger vers la dame au petit bureau, puisque depuis le début de la saison (deux mois), je n’ai toujours pas récupéré ma carte de membre. À chaque fois je manque de courage. Cette fois c’est la bonne, un pied devant l’autre, le regard fixé sur l’objectif, je vais m’y rendre. Je réussis à me faufiler sans toucher à qui que ce soit et j’avance vers ma destination.

Soudain, on m’approche pour me parler. Un grand monsieur… Bien entendu je ne le reconnais pas, mais au fil de la conversation je comprends que c’est lui mon contact pour le logo du club que je tente d’obtenir en haute définition. Je n’en ai qu’un petit, tout embrouillé et comme c’est moi qui vais concevoir l’affiche de cette année, j’en veux un beau, tout parfait et tout impeccable. Ce désir de perfection me semble légitime et le monsieur veut bien m’aider dans ma quête. Par contre, plus il parle, plus il approche et plus moi je recule. C’est comme une petite danse en ligne au ralenti, mais toujours dans la même direction. Il dit alors : « On va demander à Monsieur no. 2. » Il quitte précipitamment le dialogue et prends place auprès de Monsieur no. 2.

Je reste là. Oups. Que dois-je faire ? Je regarde autour, tout le monde est en microgroupe et je suis donc la seule perdue. Je ne suis pas trop certaine que c’est ce que je dois faire, mais je décide donc, à retardement, de rejoindre la conversation. Je m’approche tout doucement et pouf, ça fonctionne comme quand l’aimant est juste assez proche, on m’intègre à la discussion en cours. J’explique la problématique. Mais on dirait que je tape sur les nerfs de Monsieur no. 2. Ce n’est pas la première fois que je fais ce constat. Quand je parle, il soupire clairement d’impatience. Pourtant, normalement, c’est réciproque ces choses-là. Les gens se détestent mutuellement. Moi, il ne m’énerve pas du tout, au contraire, ces propos sont souvent intéressants. Allez savoir pourquoi, il ne peut supporter ma présence et c’est flagrant. Ceci fait en sorte que je me sens vraiment comme la pire des nullités de la planète en ce moment. Si c’était un être stupide et pour qui je n’avais aucun respect, ça me passerait dix pieds en haut de la tête, mais il est très bien ce monsieur. Alors le fait qu’il ne m’aime pas me blesse. Vraiment. Il me mentionne que ma demande est absolument non fondée et que ce logo est conçu pour bien sortir sur du papier entête. Panique totale. Je lance ma main dans ma poche à la recherche d’un élastique. J’en sors un en caoutchouc et je commence à l’enrouler tout autour de mes doigts, mais ce n’est pas efficace puisqu’il n’y a toujours aucun calme à l’horizon dans mon âme. Je fais donc une autre tentative en vue de dénicher un objet plus doux et je détecte un élastique à cheveux juste assez épais et en tissu cette fois. Je m’en sers pour tirer sur mes doigts et les frotter avec l’outil. Je l’allonge, je le tourne et l’entoure autour de ma main et ça m’aide un peu, juste assez pour que je réplique que justement, l’affiche est plus grande. Il soupire de plus belle et rejette ma demande du revers de la main comme si je paniquais absolument pour rien de vouloir produire un beau travail. Et c’est parti, ça y est, j’ai envie de pleurer. Voulez-vous bien me dire pourquoi je n’ai pas ce barrage naturel de rétention des flots ophtalmiques ? Je cherche éperdument mon amie des yeux et lorsque je la repère, je me précipite alors dans sa direction pour cacher aux autres les larmes qui veulent dire coucou. Je me calme et ça passe, j’ai survécu.

La soirée commence alors pour vrai, c’est aujourd’hui qu’on doit voter pour savoir qui enverra ses photos à un concours. C’est agréable puisqu’on voit plein de beaux clichés de tout le monde. Mon habituel manque de confiance en moi fait en sorte que contrairement à la plupart des gens, je n’ai même pas emmené de photos. L’idée ne m’a tout simplement pas effleurée l’esprit tellement je crois peu en mes capacités. C’est comme ça. Devant le fait accompli, je regrette. Ce sera pour une prochaine fois…

Entre deux séries de votes, tout le monde s’assoit sur le bord de l’estrade en attendant. Je reste debout, bien entendu, c’était prévu. Subitement, tels les flots de la mer rouge, un groupe s’écarte pour m’offrir un emplacement de choix. Une belle place juste pour moi. On me dit «Allez, viens t’asseoir. » et on tape deux fois de la paume de la main sur l’endroit désigné à accueillir mon corps. Oh non ! Je n’ai d’autre choix que d’obtempérer. C’est instantané. Aussitôt le postérieur déposé entre une tonne de personnes à gauche et une pelleté de personnes à droite je me mets à avoir chaud, très chaud. J’ai une valve et on vient de me brancher un compresseur dessus. Dans ma tête, je gonfle. Ça pousse, vite il me faut trouver une solution. Elle s’impose d’elle-même puisque l’angoisse m’assèche. Je me lève d’un trait en disant que j’ai soif. Je me dirige prestement vers ma gourde qui est déposée plus loin et je bois goulument comme si je venais de traverser le désert. Je n’ai qu’un litre, calmons-nous, je dois en garder un peu…

Je t’aime toi !

Mon amie me présente un monsieur qui est tout sourire. Elle m’explique son rôle et je m’exclame : «Ah ! c’est vous le fatiguant qui n’arrêtez pas de la tanner pour qu’elle prépare ses photos pour l’exposition. » (en parlant de mon amie). Il ouvre grand les yeux, recule de surprise durant une demi-seconde et il éclate de rire. Il déclare : «Je t’aime toi !» d’un ton rieur et il dit être content de faire ma connaissance. Wow ! Me voilà en effervescence. Quelqu’un a tourné la manivelle de ma volubilité. Je commence à parler sans m’arrêter. Je déblatère sur mon travail un peu et ensuite à propos des ordinateurs (mes écrans, mon ordi, certaines technologies, etc.), de la musique (je passe d’Édith Piaf à la musique techno, de l’opéra au rap francophone), de tout ce qui me passionne et je ne suis plus ″arrêtable″. La machine est décollée. Ne jamais me mettre de bonne humeur de la sorte si vous avez mal aux oreilles, parce que des mots, vous allez en avoir. C’est un torrent qui sort de ma bouche, mode hyperactive activée ! J’enroule avec énergie l’élastique autour d’un crayon et je tire dessus dans tout les sens, j’embobine également mon doigt autour de mes tresses et je crée de joyeux ressorts avec mes cheveux. Je suis contente. Par sa gentillesse et sa bonne humeur, le monsieur m’a fait rigoler et c’est ça que ça a causé.

Nous retournons voter à nouveau et mon amie me présente ensuite un autre monsieur. Petit problème. Moi je trouve que c’est le même que tout à l’heure, mais puisqu’elle me le présente, ce ne doit pas être le cas, j’imagine ? Comme l’autre était très gentil, je continue avec celui-là comme si c’était celui d’avant. Je passe donc une belle soirée finalement et je suis particulièrement fière de moi. Je sors de là enchantée et contente, puisque ça s’est bien terminé. Je demande à mon amie si j’ai eu des comportements étranges, et elle dit que j’avais probablement seulement l’air timide ce soir. Youpi.

Par contre, je n’ai toujours pas ma carte de membre. C’est à croire que je ne l’obtiendrai jamais…

BONJOUR!

Je suis Valérie Jessica Laporte. Bienvenue dans mon univers autistique.

Femme blanche autiste souriante avec lunettes bleues et tresses bleues

DERNIERS ARTICLES