Malentendus, mal-dits, mal compris et tout le tralala qui fait qu’on ne se comprend pas.

malentendus illustrés

Pour une fille qui ne saisit pas les intentions, j’en demande beaucoup à mon entourage puisque j’ai espérance qu’ils comprennent toujours les miennes. Et le pire, c’est qu’ils y arrivent la plupart du temps. Maintenant, lorsqu’on me dit : “On le sait que tu ne veux pas mal faire.”, je me doute que j’ai encore dit une niaiserie, je cherche, je demande et je rectifie. Je peux présenter des excuses s’il y a lieu. On s’adapte. Mais si c’est une personne que je ne connais pas et qui ne me connait pas qui entre en jeu, ça va mal, parce qu’elle ne le sait pas elle, que je suis gentille… alors si mon message est inadéquat, bonne chance à moi. Vive le syndrome d’Asperger…? Non, pas cette fois.

Quand on me sort de mon contexte…

Je choisis mes clients précieusement, c’est sur référence. Pour travailler avec moi, il faut qu’on vous ait informé sur ma manière de fonctionner et lorsqu’on me contacte pour faire appel à mes services, une des premières choses que je mentionne est que je ne prends que des clients gentils. D’entrée de jeu, que les choses soient claires, il m’est impossible d’être créative dans un climat difficile. Habituellement ça fait rire et ça surprend les demandeurs que je dise ça, et ils y vont de diverses questions à savoir si je suis sérieuse dans cette affirmation. Oui, je le suis.

Avec les années, ma clientèle est régulière et est donc essentiellement composée d’humains doux, joyeux, de bonne humeur et qui sont au fait de mon extrême sensibilité. Tous les matins de semaine, je m’installe devant l’ordinateur avec la satisfaction de faire ce que j’aime. Comme ce matin.

Une entreprise assez importante utilise toujours la même ressource à l’interne pour passer ses commandes de graphisme et communiquer avec moi, mais cette fois-là, la jeune fille est en vacances, et ils ont une urgence. Je me retrouve donc à créer une publicité tout en étant en téléconférence avec deux hommes que je ne connais pas. Le téléphone est déjà une épreuve en soi et parler à plusieurs personnes en même temps, un défi qui endort toute ma vigilance puisque je suis trop tendue à tenir le rythme de discussion sans que rien n’y paraisse. C’est très prenant. Ça bourdonne comme une demande incessante, une sollicitation sans fin. Pourtant, je tiens le rythme et j’adopte un ton hyper enjoué. Habituellement, après quelque temps à discuter avec un client, j’arrive à copier son débit, son parler, son accent, mais pour ça, il me faut plusieurs conversations. Comme je parle avec deux hommes et que je viens à l’instant de terminer une interaction avec un client très sympathique, je choisis d’imiter le tempo et le langage utilisé précédemment.

Mauvais choix d’imitation, meilleure chance la prochaine fois.

Cette décision a été prise rapidement et je n’ai pas intégrée la donnée à l’effet que ce jeune homme est un blagueur qui taquine à l’aide d’une méthode de demi-sarcasme, mais sympathique. C’est difficile à expliquer, mais c’est vraiment un personnage agréable et sans malice alors j’ai opté pour le choix de continuer sur ce ton avec mes deux clients suivants.

Les autistes savent imiter, ça oui, mais souvent de manière très littérale, les subtilités n’y étant pas. Ça peut servir un temps, mais le risque est grand de faire une nounounerie* et de se mettre les pieds dans les plats puisqu’il manque certaines données essentielles à cette temporaire mascarade..

Lorsqu’on me demande de faire une modification qui à mon sens ne convient pas, je fais le test à l’écran et je m’exclame, Ha ! C’est laid ! Ce à quoi le client proteste. Je réponds donc : Avez-vous ce qu’il faut pour voir dans mon ordi ? Mais encore de ma voix tout enjouée qui copie le dialogue d’avant.

Un jeudi haut en pleurs.

Et paf ! la dégringolade. Un des hommes s’emporte, me dit un paquet de méchancetés, me menace de ne plus faire affaire avec moi et me raccroche au nez très en colère.

Je m’écroule, je me désintègre, je pleure tout ce que j’ai à pleurer durant plus d’une heure, je n’arrive plus à parler, à penser, à travailler, rien. Je suis en format petite boule et je tremble de tout mon être. J’ai perdu mes schémas de conversation, ils se sont enfuis vers un cerveau plus fonctionnel et ce n’est pas le mien. Moi, je ne suis plus rien, qu’une toute petite guenille trempée et grelottante qui ne peut plus fonctionner. C’est la panique. J’ai chaud, j’ai froid, j’ai tout, je ne sais plus.

Je tente de rapatrier mes fonctions afin d’au moins produire la pièce demandée avec la modification requise. Et comme écrire, ça je peux, je l’envoie au client. L’autre monsieur me rappelle, pas celui qui était en colère l’autre… Comme je crois avoir épuisé tous les flots de mon corps et que je dois être professionnelle, je regarde le menaçant téléphone m’annoncer bruyamment que je dois faire quelque chose. Je prends mon courage à deux mains, je tente de me convaincre que je suis forte et je réponds.

L’homme commence par une sorte d’entrée à matière visant à s’excuser un peu pour le comportement de son acolyte… Mais je n’arrive pas à répondre. Il me mentionne alors les quelques changements restants et je ne parviens à interagir qu’avec de maigres onomatopées qui ne ressemblent à rien ce qui n’aide pas mon cas. De plus, je suis fâchée contre moi, car je n’ai aucune saleté d’idée de ce qui a provoqué l’ire de mon interlocuteur. Et comme je ne produis que des sons incomplets, j’ai l’apparence d’être en furie contre lui, et ce n’est pourtant pas le cas.

Comprendre.

Je repasse donc en revue la conversation complète et boum ! je comprends. Quand j’ai dit : “Avez-vous ce qu’il faut pour voir dans mon ordi ?”, il n’a pas estimé que je faisais allusion à un logiciel d’accès à distance, ainsi que de réunions en ligne. Je voulais juste qu’il regarde dans mon écran !!! Mon courage revient doucement et j’ose poser la question à celui des deux qui a gardé son calme, ce à quoi il répond qu’ils ont cru à un sarcasme, une impolitesse, mon ton trop joyeux ayant tout brouillé. Ils ne savaient même pas qu’un tel outil existait. Je me suis expliqué et tout s’est éclairci. L’homme a quand même jugé bon de me faire diverses remarques sur le ton choisi et les mots utilisés. J’ai déclaré avoir imité le jeune homme précédant parce que la conversation d’avant se déroulait bien. Ils étaient deux tout de même, comment vouliez-vous que je les imite en duo alors que je n’avais aucune donnée pour me démarrer ? Je suis pas mal douée pour m’ajuster, mais là, trop c’est trop.

Entre ce que je pense
ce que je veux dire,
ce que je crois dire,
ce que je dis,
ce que vous voulez entendre,
ce que vous entendez,
ce que vous croyez comprendre,
ce que vous voulez comprendre,
et ce que vous comprenez,
il y a au moins neuf possibilités de ne pas s’entendre.

Bernard Werber – Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu

J’aimerais bien utiliser mon ton naturel, celui avec lequel je me sens vivre, mais si je le fais avec des clients, il arrive qu’ils me demandent si j’ai pris de la coke. Alors, afin d’éviter qu’on m’imagine sous l’effet de psychotropes, il vaut mieux que je me calme et que j’imite la personne avec qui je travaille. Les calmes me croient calme, les enthousiasmes peuvent rencontrer le mien, les froids et directs ont droit à ma super efficacité. Au téléphone, je suis romaine chez les romains. Ce n’est pas là, ce n’est pas le temps ce n’est pas la bonne place pour vivre mon vrai moi. Celui-là je le garde pour le tester avec ceux qui me connaissent. C’est moins risqué.

Tout est bien qui finit bien, mais ça fait tout de même 5h que c’est arrivé et j’ai encore des hoquets de pleurs… je sais que ça va, qu’on s’est expliqué, mais je suis trop sensible, je me sens toute démantibulée.

* Nounounerie. Mot inventé par moi, tiré de nono, terme québécois pour désigner gentiment une personne idiote. Tu es nono, je suis nounoune… C’est un mot sans méchanceté.

BONJOUR!

Je suis Valérie Jessica Laporte. Bienvenue dans mon univers autistique.

Femme blanche autiste souriante avec lunettes bleues et tresses bleues

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