Derrière mon écran, je ne suis plus autiste… ou presque.

Le cerveau bleu

Cette semaine, une personne m’a demandé si j’étais plus à l’aise de communiquer derrière un écran. C’est avec une réponse oui, avec plein d’iiiiii à la fin que j’ai donné mon avis sur cette question. Il faut dire qu’elle a tenté de me parler au club photo, puis moi en vrai et moi en mode-écran, c’est deux mondes bien différents.

Je ne lui avais jamais parlé, puis elle a déboulé à une vitesse pas possible… Les questions se succédaient. Sujet : la photo. Même si c’est un sujet technique et créatif, un truc que j’aime, avec le bruit, les gens, le fait que je ne savais rien d’elle, j’avais tout un délai pour interagir. Trop long. D’immenses pauses avant chaque réponse. J’avais l’impression d’avoir une gigantesque épée en forme de coucou géant au-dessus de la tête.

Le stress.

Tic ! – tu n’as toujours pas répondu…

Tac ! – elle va se poser des questions sur ton état mental là.

Tic ! – trouve une réponse, n’importe quoi.

Tac ! – tu ne peux pas faire ça, seule la vraie réponse est la bonne, sinon tu vas le regretter…

Jusqu’à ce qu’elle me demande… C’est quoi exactement qui t’a fait débloquer en photographie ? Vous connaissez la sensation, lorsque la liste de ce que vous voudriez répondre s’ouvre et se déroule dans votre tête, mais que votre bouche coupe le contact ? À une question, c’est à chaque fois un long processus qui s’enclenche en moi et ce n’est pas la simple réponse délavée qui pourrait sortir à la fin qui représentera ce qui se passe à l’intérieur.

J’ai eu cette envie, un instant, de me laisser aller et de déballer l’ensemble de la réflexion qui bouillonnait dans ma tête…

J’ai débloqué parce que j’ai compris. J’ai compris qui j’étais, j’ai compris que j’avais la permission d’exister, j’ai compris que je ne suis pas la nuisance que je pensais être, j’ai compris que si j’ai envie je peux, ça ne fait de mal à personne, j’ai compris que ça me fait du bien, j’ai compris comment je regarde, comment je comprends, comment je vois, j’ai compris qu’il ne faut pas que j’essaye d’être une bonne neurotypique, je suis mauvaise à tous les coups, mais par contre, je fais une excellente asperger… j’ai compris, alors j’ai débloqué…. en photo, partout, dans toute ma vie !

Peur

On ne dit pas ça à une personne qui nous parle pour la première fois alors je me suis enfuie dans les toilettes sans répondre… J’ai laissé sortir les pleurs qui menaçaient de faire un spectacle de niaiseries devant tout le monde. Ensuite, j’ai appuyé solidement mes deux mains sur le comptoir, j’ai regardé le miroir (ce que je déteste) et j’ai demandé, mais qu’est-ce que tu veux dire ? J’ai serré les poings dans l’espoir de créer un afflux d’énergie, je suis retourné voir la personne et j’ai mentionné avoir trouvé la réponse.

Je me suis donné le droit. C’est bon comme réponse ? Trouvez-vous ? Moi je considère que oui, c’est juste une phrase, mais elle synthétisait ma pensée qui menaçait de s’éparpiller partout. Je tenais à dire la vérité, parce que mentir, je ne sais pas… mais je ne pouvais me permettre de m’étendre sur des kilomètres de réflexion comme j’aurais préféré le faire.

Elle m’a demandé si mes enfants étaient comme moi, aussi ”gênés…” puis j’ai répondu non. Ils sont corrects eux. Là je l’ai su tout de suite que je n’aurais pas dû dire ça. Mais c’était trop tard… Il va falloir que je travaille là-dessus un jour, couper ce réflexe de toujours me juger incorrecte, mais une étape à la fois…

Je lui ai donc reparlé le lendemain sur facebook pour clore la conversation que j’avais été dans l’incapacité de compléter puis étrangement et magiquement, j’étais tout à coup quasi normale. Voilà pourquoi elle m’a demandé ça… si j’étais plus à l’aise sur l’ordi. Elle a bien constaté à quel point de face à face, ça me demandait une énergie pas possible.

Quand l’écran sert de tremplin vers la communication. L’ordi, l’incontournable outil de la demoiselle aspie

La première fois que j’ai lu un article sur l’arrivée imminente de l’autoroute électronique, j’ai dormi avec le magazine sous mon oreiller durant des mois. Comme si j’avais su à quel point ma vie allait en être bonifiée. C’est juste hyyyyper utile.

L’ordinateur sert pour 99 % de mes approches. À celui qui est gaga des oiseaux je demande quelle est la sorte qui vit dans ma cour, aux gens que je pose en photo j’envoie mes clichés… puis quand ils sont contents je jubile, ça me fait juste trop immensément plaisir. Comme ça ils savent que je ne me fous pas d’eux même si je ne leur parle pas.

Refus de contact physique

Pas de contact, pas de danger, pas de toucher, pas de son, pas d’odeurs, pas plusieurs personnes à la fois, pas de pression, juste moi, mon clavier et la personne dans un petit rectangle bien défini qui fait juste envoyer des mots et quelquefois des petits dessins qui à chaque fois me laissent pantoise.

Bon, c’est bien joli tout ça, mais ce n’est pas parfait… Quand je recroise les gens en vrai ils s’attendent à ce que je sois aussi fluide. Oups. Désolée, ça ne fonctionnera pas comme ça.

Tuer des monstres, gagner de l’expérience et sauver la planète

Avant mon diagnostic je jouais plus qu’énormément à l’ordi. C’était mon principal exutoire, la seule manière que j’avais de décrocher. J’étais dans une guilde puis pour être bien certaine que personne ne voudrait devenir mon ami pour vrai, je jouais sur une équipe européenne. De plus, la barrière de l’accent les empêchait de saisir les subtilités de ma différence. Ils mettaient ça sur le compte du fait que j’étais québécoise. Combien de fois ils m’ont dit… oh, toi, tu vis au monde des Bisounours et des licornes en autre à cause de mon manque total de malice. Puis pour moi, c’était parfait. À cause de leur manière de parler, ils me donnaient tous l’impression d’être des personnages animés, puisque chez nous, les émissions pour enfants sont doublées avec cet accent, presque le leur.

enfant asperger

C’est en ligne que je grandissais, c’est en ligne que j’apprenais, c’est en ligne que j’évoluais, parce que la vraie moi, de toute manière, elle ne m’intéressait pas. Le beau personnage courageux que j’incarnais était bien mieux.

Quand les enfants étaient petits, j’en ressentais moins le besoin, je me sentais utile ! Tout à coup, j’avais une valeur quasi impossible à remplacer, je pouvais tout faire pour être la meilleure maman du monde ! Je pouvais suivre le livre d’instructions du parfait petit parent et ça me rassurait… mais là mes enfants sont grands et ils ne jouent pas 24h sur 24 avec maman, de toute manière, ils veulent faire autre chose… alors tout mon temps de loisir passait à développer cette vie parallèle.

J’aime être seule, mais je ne voulais pas me regarder en face…

Je n’ai rien contre les jeux vidéos, mais étrangement, depuis que je me connais mieux, depuis que je comprends, je n’en ai plus envie… de 8 à 38 ans j’ai joué autant que je pouvais, et bien plus depuis les RPG*… mais tout à coup, pouf ! L’envie est disparue tout d’un coup. Étrange. Comme si ça me dérangeait de moins en moins d’être vis-à-vis moi même. J’aime mieux écrire, prendre des photos.

Mais dans tous les cas cette sensation reste. Derrière un écran je me sens compétente. Derrière mon clavier je me sens comprise, derrière mon ordi, j’ai moins peur, puis dès que je mets un morceau d’orteil dehors, tous ces beaux acquis prennent le bord du camion-benne et j’ai l’impression de ne plus être entière. C’est un peu insultant. Je sais ce que je suis, mais ça s’efface au contact des autres…. comme si j’étais allergique. Allergique aux humains excepté mes proches. Puis comme une allergie, même si tu aimes les framboises, si elles te font enfler pour devenir une tomate, tu n’as pas de contrôle là dessus.

Les autres humains me font symboliquement enfler le cerveau. À leur contact je perds automatiquement un pourcentage énorme de mes capacités. Je le sens, c’est comme si on arrivait dans ma tête avec une pelle à gâteau et que chaque nouvelle personne autour de moi repartait avec un quartier.

Bon appétit les petits zombies !

*RPG : RPG Role Playing Game (Jeux de Rôle).

BONJOUR!

Je suis Valérie Jessica Laporte. Bienvenue dans mon univers autistique.

Femme blanche autiste souriante avec lunettes bleues et tresses bleues

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