Il faut. Il ne faut pas. Et bla bla bla…

Ma vie - Au royaume d'une Asperger

Les humains ils aiment ça fort fort dire aux autres humains il faut. Sérieux, je trouve qu’on déborde un peu.

Les idées-cideurs de devoirs n’arrêtent pas de changer d’idée et chaque génération invente son lot de niaiseries. Il pleut des il faut sur nos têtes à longueur de journée.  Est-ce qu’on peut s’entendre sur le fait que nous avons complètement perdu le contrôle des il faut ? Le nombre d’obligations à respecter pour être un peu normal… parfois je trouve ça aussi absurde que de demander à un non-voyant de cacher sa canne. C’est n’importe quoi.

Je ne suis pas mieux que les autres.

Je proteste, je conteste et je revendique haut et fort mon droit à la liberté et pourtant… je réalise que je suis tombée dans le piège moi aussi. Je m’auto-impose des tas de il faut-faut-pas.

  • Il faut que je me concentre pour marcher avec plus de fluidité.
  • Il ne faut pas que je parle trop quand je suis emballée.
  • Il faut que je me retienne d’aller faire pipi aux deux minutes, je viens juste d’y aller, ça va avoir l’air fou.
  • Il faut aller chez les gens même si on n’est pas capable cette journée-là.
  • Il faut que j’emmène plus souvent mon plus jeune chez le coiffeur, mais j’aime trop ses frisous ! C’est si doux…
  • Il faut dire oui à tout le monde, sinon on ne nous aimera plus.
  • Il ne faut pas que ça paraisse trop que je tente à ce que tout soit symétrique, surtout pour les sons, parce que j’ai nettement l’impression d’exagérer…
  • Il ne faut pas que je mette mes chaussettes aussi hautes que j’en ai envie même si je trouve ça tellement joli des bas. Ce n’est pas raisonnable. Je les plie avant de sortir.
  • Il ne faut pas pleurer devant les gens.
  • Il faut que je bouge, ça fait trop longtemps que je n’ai pas bougé, je vais encore avoir l’air étrange, zombie, ou…. il faut que j’arrête de gigoter et de brasser mes morceaux de corps n’importe comment.
  • Il faut que je me limite à huit questions si je paye pour quelque chose et à trois si c’est gratuit.

Mais en fin de semaine je me suis donné la permission, j’en avais trop besoin.

Congé de il faut. J’avais un cours de photos (Atelier de créativité & photo thérapeutique), dans le bois, au plus profond de nulle part, dans une retraite qui sert habituellement de lieu de méditation…  Je ne savais pas que j’allais vivre ce soulagement en mode extrême de liberté. Je ne suis pas partie avec cette intention, c’est simplement une chose qui s’est présentée.

L’arrivée.

Dès l’entrée mon cœur s’est mis à battre à toute vitesse, j’ai regardé la dame qui nous accueillait en ne cessant de me répéter, lunettes, rouges, lunettes rouges, lunettes rouges, parce que je savais que je ne la reconnaitrais pas si je ne retenais pas une chose qui n’est pas le visage (prosopagnosie  no. 1). Elle nous a accompagnées jusqu’à la chambre en nous récitant bien tous les règlements que j’avais, bien entendu, appris par cœur depuis des mois déjà… ça m’a angoissé, comme si je n’étais pas fiable. Oui, je sais, j’ai tort sur ceci.

Je me suis grouillée du plus que je pouvais de monter mes bagages avant l’arrivée massive de tous les autres. Ensuite, j’ai commencé à me sentir assez mal. J’étais devenu un mélange de je-suis-contente/je-suis-méga-anxieuse absolument impossible à remettre au neutre. Mon amie élastique l’a constaté.

Note sur l’amie élastique

J’aime bien comment elle vit ça lorsque je me sens mal. Elle ne prend rien «sur elle» ou «en elle». Ça demeure une donnée complètement séparée de son propre ressenti, ce qui m’empêche de culpabiliser outre mesure. Elle me pose la question : «Est-ce que je peux faire quelque chose ?» sur un ton dépourvu de quelque intensité que ce soit. Je dis pratiquement toujours non, mais je vis ça comme si j’avais droit à un Joker. Quand ce sera oui, je pourrai dire oui. Et ça me surprendrait que ce soit compliqué. Je ne répondrai pas : Oui ! J’aimerais des kiwis fraichement cueillis sur les fesses d’une licorne… La plupart du temps, je suis plutôt à la recherche d’explications ou de conseils… mais pas cette fois.

 

Cette fois, l’angoisse de ne rien reconnaitre et de ne rien contrôler prenait toute la place. Je savais trop bien ce que je devais faire, tout placer. J’avais seulement besoin de frénétiquement ranger.  Ménage. Contrôle. Classement. Organisation. Logique des lieux. Mon cerveau avait besoin de se structurer et cette action, cette prise de possession d’un lieu, c’est terriblement efficace.  Je lui ai dit : Je me sens vraiment honteuse quand je suis comme ça, je ne me sens pas en contrôle, je suis surchargée… elle m’a laissée seule et j’ai rangé. Malgré la douche, malgré le ménage, je me sentais en décalage…

À mon arrivée en bas, quelqu’un m’a demandé si j’avais vu le professeur (qui m’avait tout juste aidé à monter ma valise) et je l’ai confondu avec l’homme à côté de nous. J’ai encore eu l’air de la droguée perdue…(prosopagnosie no. 2). Je fixais le plancher, traversais parmi les autres en mode je n’existe pas en espérant seulement que personne ne me touche. Les premières heures ont été souffrantes, j’avais l’impression d’être en danger, pas à ma place, indésirable… je déteste. Ça me rappelait l’école, et je ne veux pas ça.

Exister.

Nous sommes tous montés pour entamer la formation. Le professeur était tout un numéro. Pas typique le monsieur. D’une authenticité désarmante, il savait trouver les mots pour permettre aux gens de laisser libre cours à leurs pensées. Il voulait qu’on soit créatifs, et c’est la bonne méthode, on dirait. Son acolyte était plus posée, mais tout aussi ouverte et vraie. Ça donnait le ton. Les gens ont commencé à se présenter à tour de rôle. J’ai compris dans quelle sorte de groupe je me trouvais. Pas menaçant. Ouvert. Libre. Je n’avais rien à perdre. je n’allais pas du tout en profiter dans l’état déplorable dans lequel je me trouvais… alors j’ai sauté, j’ai tout lancé presque d’un trait, à toute vitesse :

Je m’appelle Valérie Jessica, et je suis hyper hyper stressée. Je ne me sens pas bien là. Je suis dans un lieu dans lequel je n’ai aucune référence, avec plein de monde que je ne connais pas et qui ne me connaissent pas. C’est plus facile lorsqu’on me connait. Donc c’est probablement une bonne idée au final de me présenter. (petit passage sur mes débuts en photo suivit de ….) J’ai besoin d’eau, je dois boire.

Pause. En tremblant comme une feuille en tentant de boire sans m’étouffer…Je savais ce que je voulais dire, mais je paniquais tellement que c’était tout compressé sur mes poumons.

Ce que j’aime vraiment en photo c’est attraper les émotions des gens, ça me fascine, je surveille leurs micros mouvements et je sais lorsqu’il feront un visage spécial et je les pose à temps. Ensuite, je compare leurs photos, je les analyse pour essayer d’apprendre quelles émotions vont avec quel visage, c’est comme ça que j’ai constaté que deux personnes qui ont perdu à la pétanque mettaient tous les deux leur bouche vers l’intérieur en fermant les lèvres très serrées, et je me dis, quelqu’un qui fait ça c’est qu’il est déçu, mais ce n’est rien de grave, mais c’est trompeur tout de même parce que j’ai plein d’autres photos la bouche fermée avec les lèvres par en dedans et ce sont d’autres concepts, bref, j’attrape les émotions, mais ce que j’aime entre tout c’est de faire des photos de dés !!! J’ai eu une exposition l’an passé dans le cadre du festival Un talent pas si différent. C’est parce que, je ne sais pas si certains connaissent ce mot, mais je suis autiste, et c’est clair que ça change ma manière de voir les choses. Une blague qui circule souvent, dans le milieu autiste, c’est qu’on voit l’aiguille avant la botte de foin. Dans une pièce, je suis souvent celle qui n’a pas vu ce que tout le monde a vu, mais en contrepartie, j’ai vu ce que vous n’avez pas vu, le détail ! Donc c’est ça… ouf.

Ah oui, pour finir, si possible, touchez-moi pas.

Une fille essoufflée d’avoir parlé à toute vitesse.

(silence)…. trop long à mon goût durant lequel j’ai bu encore plus d’eau, mais j’ai cessé de trembler.

Le professeur a demandé aux autres ce qu’ils avaient retenu et une dame s’est exclamée : On saute tous sur Valérie !!!. J’ai craché mon eau dans ma gourde et mon amie a dit : Arrêtes, tu vas la faire mourir ! ce qui fait qu’il y a eu un éclat de rire général. J’ai ADORÉ. Le rire, si vous saviez, vous m’enlevez une tonne de pression quand vous l’utilisez. Ça me dit : Tu as le droit. Et en bonus : Amusons-nous.

À partir de là c’est comme si je pouvais être moi sans craindre de heurter les participants. Alors j’ai ouvert mes oreilles et mon cœur même si j’avais peur. Et j’ai trainé mon toutou lourd de cinq livres dans les autres cours. J’avais une permission ! Non pas que c’était interdit avant, mais bon… une dame de 40 ans avec un toutou lourd, c’est louche longtemps. Vous n’avez pas idée comme ce détail, ce poids sur moi, la possibilité de flatter le poil, à quel point ça ferme des canaux de distorsion pour laisser entrer la bonne information au lieu du bombardement incessant des sens en alerte.

Facile et pas facile.

Facile.

Il a fallu être à l’écoute de nos sens pour sentir les choses afin de faire de la photo contemplative, ha ha ha ha ! Être à l’écoute de mes sens, est-ce une blague ? C’est que mes sens, vous voyez, ont pris mon corps comme terrain de jeu et c’est impossible que j’oublie ne serais-ce qu’un instant leur présence.

C’est l’attaque de stimuli constante dans mon cas, qu’ils soient positifs ou négatifs. Et vous m’envoyez dehors au soleil à la recherche de mes sensations ? Aucun problème, j’ai juste à cesser d’ériger ces terribles murs bloqueurs et je vais la sentir l’image. Même avec ma barricade le flux est constant et envahissant. Je n’ai pas à réfléchir pour découvrir ce que je sens, ça s’impose. J’ai aimé, ça ne m’a pas stressée comme sujet… j’ai même marché SEULE en forêt sans paniquer. Pour vrai de vrai, oui, moi, la fille qui a construit une énorme clôture hors normes autour de son terrain lorsqu’elle est déménagée au Saguenay parce qu’elle avait peur des ours…

Pas facile.

On devait faire un autoportrait. Comment on fait ça si on ne s’aime pas ? Si on prône de s’accepter comme on est, mais qu’on est notre pire juge quand c’est le temps de mettre ça en application ? Un autoportrait. Cauchemar. Je montre quoi ? J’ai décidé de montrer ce que je contrôlais et ce que j’aimais, soit mes choix. Ma liberté. J’ai pris la nature à travers mes cheveux bleus et mes pieds au-dessus de la piscine, un regard bleu sur un monde dans lequel je n’entre pas totalement, mais j’ai accepté, j’ai dénoué  mes lacets, j’ai vécu le moment à fond et ça m’a fait un bien fou, tout ça, parce que j’étais moi-même presque toute au complet. Je me sentais si légère.

Autoportrait de l'asperger

Le résultat de l’autoportrait.

Pas facile 2. Mais ça fait du bien.

Une de nos photos de la fin de semaine était vouée à devenir la photo Ma vie (voir image d’entête de l’article). Pour poursuivre l’exercice, on peut en faire une par année. C’est parlant, c’est notre perception. J’avais la permission de nommer sans retenue. Voilà ce que je ressens. Je me sens trop souvent cassée, brisée et dysfonctionnelle, mais lorsque je communique, que je crée et maintiens des liens, en montrant et en acceptant mon côté bleu, bleu comme l’autisme, c’est ce qu’on voit en premier. On voit le bleu avant le bris. Et tout fonctionne malgré les craquelures. Craquelures que j’ai d’ailleurs confondues avec un arrière-plan d’arbre lorsque je les ai vues dans le téléphone. Cette image, je vais m’en souvenir longtemps. J’ai bien envie d’être la bulle bleue qui communique dans l’arbre, ça fait grandir.

Il faut que je me rappelle que les il faut des autres ne sont pas mes il faut à moi. J’ai installé une jolie petite alerte sonore dans mon cerveau. Dès que j’entends il faut, ça fait une sorte de biiiiiip et je deviens bien prudente. Vous pouvez essayer si ça vous tente, ça fait du bien. Des fois, je snooze l’alerte un peu trop et j’oublie d’ignorer ces parasites. Il ne faut pas.

À la fin le professeur a demandé de décrire nos trois jours en un mot. J’ai choisi le mot permission. Ça en dit long. Il faut que je m’en souvienne, ça fait tellement du bien.


Mention spéciale à Michel Proulx du Collège Marsan et à Marie-France L’Ecuyer… vous avez été magiques.

BONJOUR!

Je suis Valérie Jessica Laporte. Bienvenue dans mon univers autistique.

Femme blanche autiste souriante avec lunettes bleues et tresses bleues

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