Le temps comme une donnée obsessionnelle.

Obsédée par le temps - autisme

Je voulais tellement une montre Timex. Celle avec un chronomètre. Pour pouvoir tout calculer, connaitre les temps exacts des tâches, gestes, déplacements, de tout. Cette régularité ordonnée, prévisible, régulière, ça me rassurait.

À cette époque-là (les années 80), il n’y en avait que des rouges et des noires, et elles allaient dans l’eau. Ma grand-mère m’en a acheté une. J’étais fascinée par les quatre boutons métalliques, symétriques et brillants. Et un jour (années 90) j’ai eu les sous pour acheter moi-même une vraie belle montre chez Distribution aux consommateurs. En acier ! J’ai pris celle qui semblait la plus lourde, j’aime tellement les choses lourdes et je la serrais tant et si fort le plus possible autour du poignet que les rares fois où je la retirais, toute la peau sous le cercle du cadran se retirait aussi. Ensuite je devais la changer de bras pour que ça cicatrise. Le temps dans la peau, c’est le cas de le dire. Rire. Je n’entrerai pas dans les détails, mais c’était franchement absolument dégueulasse.

Je n’ai plus de montre en permanence, mais…

En allant me coucher hier soir j’ai dit à l’amoureux : J’écris un article sur le temps. Il s’est esclaffé et a dit : Voyons ! t’es pas obsédée par le temps toi ??? (sarcasme à l’horizon)…

Ça a été un gros ajustement dans notre couple cette histoire de temps là. Quand il dit qu’il est prêt, ça veut dire qu’il sera prêt éventuellement…. et s’il dit qu’il part 20 minutes, j’effectue la conversion au double… Rire. Lui il s’en fout un peu des horaires, mais pour moi l’horloge doit être respectée comme un tableau du Château de Bowser. Et si l’aiguille de feu passe quand tu ne t’y attends pas, paf, tu tombes dans la lave. C’est à peu près le constat de notre relation, au temps et à moi. C’est comme un peu intense.

Mon beau 16 minutes tout cassé.

L’été dernier,  mon arrivée au camping était totalement désorganisée, limite anarchique, entre autres parce que mon ainé ne venait plus avec nous. La chorégraphie d’embarquement était déréglée et le débarquement de la nourriture, vêtements, installation des jeux, du barbecue, et plus encore était devenu un aléatoire tourniquet imprévisible. Mon parfait 16 minutes si synchronisé n’existait plus et ceci m’a créé une réelle souffrance, parce que l’efficacité, la parfaite maitrise du temps c’est d’une rare beauté peu souvent savourée par les neurotypiques.

Jusque dans les plus petits recoins de la vie courante.

Entrer à la salle de bain c’est une vraie caricature, par chance que personne ne me voit. Si le rouleau doit être changé, il faut absolument que tout le processus se fasse pendant que je fais pipi et il est impératif que ce soit terminé avant la fin. La superposition des actions me donne l’impression d’un contrôle sur le gaspillage des instants.

Je me dépêche tellement durant le brossage des dents qu’une fois sur trois je crache dans mes cheveux. Techniquement, je perds plus de temps à ce moment-là puisque qu’un processus de nettoyage doit s’effectuer, mais sur l’instant, ma seule obsession est d’être optimale et je me dis à chaque fois que non, mes cheveux ne tomberont pas dans le lavabo pendant que je me penche… Faux.

Patience…

Comme parent il faut être patient, je sais… mais lorsqu’on a une tâche familiale à accomplir et qu’un des nôtres arrête d’être action, il entend un «tu bouges plus !» qui réveille. Oups. C’est comme ça. Si on demande à l’amoureux de nommer mon pire défaut, il dira l’impatience. Ce mot est en surface selon moi. C’est beaucoup plus que ça, beaucoup plus fort, envahissant, limite obsessionnel. Le temps est une série de cubes dont chacun doit s’emboiter dans le suivant sans trou entre chacun, sinon je panique.

Travailler vite, vite, vite sans perdre de temps.

Dans le cadre du travail c’est juste magique. Lorsque j’ai commencé mon entreprise en graphisme, durant trois mois j’ai comptabilisé à la minute près chaque type de tâche avant de créer ma liste de prix, qui est basée sur les moyennes de temps passé par projet. Sans cette liste de prix fixe, je serais tellement envahie par la peur d’utiliser le temps des clients à mauvais escient que je ne pourrais plus être créative. Avant d’être à mon compte, en entrevue, si on me demandait ce qui pouvait me démotiver, je répondais : n’avoir rien à faire ! En entreprise, je perdais tellement de temps, on ne m’a jamais utilisé à mon plein potentiel. Avec mon bureau à la maison, j’ai le contrôle de chaque petite seconde !

Une peur phobique de m’ennuyer.

Je suis incapable de m’amuser juste pour m’amuser, c’est trop souffrant. Ça me prend des raisons, des tas de raisons. Si une activité me tente, je liste les avantages. Chaque fois, elle doit avoir une liste de récompenses ou bienfaits, sinon j’ai l’impression de me trahir. Relaxer, c’est une chose des plus détestables. Le mot tout seul, déjà, me fait parfois paniquer. Ça représente le vide. Tout ce qui me fait perdre du temps sans retour, gain ou accomplissement pour moi ou pour quelqu’un devient inutile. Trop long, trop compliqué.

Je déteste la plage, cette immensitude perte de temps, autant de grains que de secondes perdues. C’est sans doute pour ça qu’enfant, j’avais peur de la prison, d’attendre, d’être bloquée, de perdre de cette donnée qui s’effrite pour me filer entre les doigts, le temps. L’idée d’un voyage dans le sud pour fuir l’hiver, ça ne me dit absolument rien. Yark.

Nommer le temps.

Je ne comprends pas qu’on l’arrondisse… je le fais parfois, mais j’ai l’impression de me piler dessus. Comme le fait que j’ajuste ma manière de parler, pour parler plus mou, je me tape sur les nerfs moi-même. Les à et 5 et les vers et demi, les moins quart, je trouve ça laid, mais c’est la vie, c’est comme ça, il faut faire avec. C’est comme les 5 à 7 qui commencent à 18h, c’est quoi l’idée de nommer ça comme ça ?

Le temps c’est un rythme, une régularité et une certitude. C’est beau et c’est précis, comme une parfaite mélodie… J’aime le compter, le mesurer et le quantifier, ça me donne l’impression d’être synchronisée avec mes pensées. Sans doute qu’il m’obsède et prend trop de place, mais il me rassure, j’en ai besoin.

BONJOUR!

Je suis Valérie Jessica Laporte. Bienvenue dans mon univers autistique.

Femme blanche autiste souriante avec lunettes bleues et tresses bleues

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