Le « bon » faire-semblant que je ne comprends pas.

Le « bon » faire-semblant que je ne comprends pas.

Les autistes ne savent pas faire semblant. C’est ce qu’on dit… je dirais plutôt que c’est particulièrement difficile. Pourtant, la société nous le demande et sans l’apprendre du tout, je ne vois pas comment nous pourrions être fonctionnels. Alors on imite pour traverser, mais c’est d’une complexité !

La maman qui ne savait pas faire semblant.

Les neurotypiques me fascinent ! J’ai souvent l’impression d’avoir été catapulté au centre d’un monde qui n’est pas le mien. J’ai tout à apprendre… Je les observe et je tente de comprendre certains gestes, je prends des notes… beaucoup, beaucoup de notes. Enfant, j’avais quatre cahiers* dans lesquels je cumulais les informations les concernant. Je voulais tellement réussir à lire les humains…

Depuis que j’ai eu mon diagnostic, depuis que je sais que je suis autiste, j’ose poser des questions. Mais je ne peux pas avec tout le monde, parfois ça ne passe pas… mais sans essayer, comment savoir qui acceptera de me répondre ?

Faire semblant pour amuser, faire semblant pour éduquer…

Voici l’histoire. Un jeune garçon va voir sa maman pour lui demander de jouer à Jokes de papa avec lui. Il mentionne qu’il veut jouer juste avec elle, pas avec d’autres. Le but du jeu est de ne pas rire lorsque l’adversaire lit une blague sur un carton. Je me dis tout de suite, youpi, je vais regarder pour savoir ce qu’elle fait de si bien pour que l’enfant la réclame de la sorte.

Connais-tu les initiales de Grand-papa tortue ? G P T. Sur ce, la mère émet des rires, mais avec le son Ah ! dedans. Un grand : Ah ah ah ah ah ! et elle dit : C’est un coup de pratique ! Donc l’enfant répond que non, il n’y a pas de coup de pratique. Techniquement la maman a perdu, et l’enfant a apprécié. L’enfant y a gagné de la confiance en lui, parce qu’il a réussi à faire rire sa mère.

J’ai des tas de questions. Est-ce que la mère a fait semblant ? Si oui, est-ce que l’enfant le sait ? S’il le sait, il en fait volontairement abstraction, à un si jeune âge ? Est-ce que c’est une méthode éducative ? Est-ce que si elle ne faisait pas semblant le jeu serait ennuyant ? Est-ce qu’elle a vraiment trouvé ça drôle ? Est-ce qu’elle trouve ça facile ou est-ce qu’elle doit vraiment mettre des efforts pour le faire ? Je me dis, je vais y aller doucement, je vais me contenter d’une seule question et je tenterai de m’ajuster selon la réception. Je lui demande donc si le rire était vrai et ressenti dans le ventre ou s’il était inventé et que c’est pour ça que son fils voulait jouer avec elle…

Elle m’a dit : « Pourquoi tu dis ça ? » d’un ton pas content (je crois). Je lui ai dit que c’était pour comprendre et elle m’a demandé si je trouvais que ça avait l’air fou… Mais non ? Je ne suis tellement pas là, à juger si les autres ont l’air fous ou non. J’ai assez de moi à gérer, je ne commencerai pas ça. De toute manière, cette idée ne m’avait même pas effleurée. Note. Elle n’avait pas l’air folle. J’ai vu une mère qui amusait un enfant. C’est seulement que je comprends mal ces chorégraphies, échanges de procédés lors du jeu.

J’ai demandé à l’amoureux pour quelle raison elle n’était pas contente de ma question. Il m’a dit que c’est comme si je l’avais accusée de ne pas être sincère… Je trouve ça tellement dommage. Mon besoin de comprendre fait que j’insulte les gens. Je ne veux pas faire ça, peiner ou insulter les autres.

Comme je considère que cette blague n’était pas drôle du tout (G.P.T.), je me dis que l’option la plus plausible demeure qu’elle fait ça pour que l’enfant ait du plaisir. Je l’ai revue agir avec une fillette une autre journée, et elle a demandé à l’enfant si elle pouvait obtenir une gommette pour sa main, parce qu’elle aimait ça. L’enfant a donc retiré une image de sa feuille et l’a apposée sur elle. Par son faire-semblant, elle a enseigné le partage. Ça semble avoir une fonction utilitaire éducationnelle. J’ai tellement l’impression d’être une extra-terrestre. Cette méthode, c’est une autre langue à mes yeux.

J’ai demandé à d’autres mamans Asperger ce qu’elles en pensaient…

Je suis ultra nulle et je n’aime pas ça. À tel point que mon fils de 5 ans joue tout seul aux courses de voitures et a inventé un jeu où je dois me contenter d’encourager ma voiture (à défaut de jouer). Une amie institutrice est venue pendant les vacances, il lui a demandé de choisir sa voiture, elle pensait jouer avec lui, mais il a fait sa course tout seul! Ça l’a choqué, j’ai culpabilisé à mort…

Caroline

C’est très difficile pour moi, je n’ai jamais vraiment été capable même quand j’étais enfant. Je me force à le faire pour mes enfants, mais ils savent que c’est pas facile ils disent : « On va aider maman à inventer des choses. »

Autiste Asperger de 33 ans, maman de 2 enfants (filles) de 5 et 8 ans

Jouer la comédie lui permet de tester ses capacités sans pour autant vraiment vivre certaines situations vraiment dangereuses. (…) Pas besoin de lui faire vivre l’injustice à un trop jeune âge, autant le lui expliquer en jouant… etc.

Sophie C. - mère au foyer - Autiste Asperger

Mais moi,  je ne sais pas le faire…

Je n’ai jamais laissé un de mes enfants gagner à un jeu. Je n’ai jamais dit qu’un dessin était beau sans le penser. J’ai laissé l’amoureux gérer le truc du Père-Noël, mais on a eu de grosses discussions à ce sujet parce qu’au départ, je n’étais pas d’accord. Il m’a mentionné avoir des souvenirs très positifs du fait que ses parents lui aient fait croire au Père-Noël et que ça a développé son imaginaire alors j’ai plié. Ça m’a toujours mis mal à l’aise, mais je pense que son opinion est valable.

Je lis, je culpabilise, je n’ai jamais réussi ça avec mes enfants… J’ai chanté des chansons, j’ai lu, j’ai construit des tas de choses avec eux, on a fait des expériences scientifiques et on a créé, beaucoup… mais on n’a jamais joué à l’aide de scénarios. Je ne sais juste pas comment faire, je ne l’ai jamais su. Les petits bonshommes, les voitures, les toutous, ce que j’aime, ce sont les classer ! Les aligner… les placer. Ensuite, inventer des interactions, c’est le tableau blanc dans ma tête.

L’enfant qui ne voulait pas faire semblant.

Je devais me choisir une poupée Barbie au magasin, les autres fillettes en avaient plein et elles semblaient apprécier. J’ai mis énormément de temps pour la sélectionner, j’ai bien pesé le pour et le contre de chaque détail. Je l’ai choisie afro-américaine, avec très peu de maquillage. Il y a eu des années sans aucun enfant de couleur à mon école, alors c’est comme si elle me ressemblait par sa différence. Mais ensuite, je la plaçais devant moi et ne savais pas quoi en faire. Un jour, on m’a amené chez une autre enfant qui avait des paniers plein de Barbies et d’accessoires. J’ai tout classé par couleur, j’ai tout séparé équitablement, j’ai fait des petits tas partout, bien alignés, bien symétriques pour établir une justice entre les personnages, mais ensuite, lorsque vint l’heure de jouer, je ne pouvais pas répondre aux scénarios. Nous sommes passés à un autre jeu et j’ai réitéré. Classement, alignement des objets, partages équitables, mais jeu de rôle… non.

Je devais avoir sept ans… À l’école, on m’a demandé de sauter dans des cerceaux sans toucher les contours puisqu’ils étaient en feu. Mais je ne comprenais pas donc j’ai demandé pourquoi et ils m’ont dit de faire semblant. Je ne comprenais toujours pas et je n’ai pas eu d’explications précises, donc ça m’a frustrée.

Zhya-14 ans (facebook.com/zyha.asperger)

À la maternelle, le premier jour, il y avait une souris tirée par une corde et nous devions jouer à en avoir peur. J’ai détesté ce jeu, je ne comprenais pas et je ressentais même une certaine colère, je crois. J’étais profondément insultée par toute demande du corps professoral qui voulait que je fasse semblant. Feindre des émotions pour appartenir à un ensemble ? Combien de personnes du groupe ont réellement envie de participer? Combien comprennent ? Combien ressentent réellement l’émotion que l’ensemble du groupe démontre ? J’aimerais le savoir.

Pour ça je vais devoir poser plein de questions aux neurotypiques. Et je vais devoir tenter de ne pas les insulter… aidez-moi si vous avez des trucs, parce que j’ai l’intention de continuer à en apprendre sur ce fonctionnement, non pas que je désire l’utiliser, c’est seulement que je veux savoir interpréter… sans insulter. Idéalement… Rire.

BONJOUR!

Je suis Valérie Jessica Laporte. Bienvenue dans mon univers autistique.

Femme blanche autiste souriante avec lunettes bleues et tresses bleues

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