Nous voilà donc peu après la fameuse journée où on m’a fourni un joli mot pour définir les diverses particularités qui agrémentent mon profil. C’est bien beau tout ça, je sais maintenant que j’ai des congénères Aspergers, c’est comme un morceau d’identité qui est tombé du plafond pour s’imbriquer sur ma tête mais ça ne règle pas tout. À la toute fin du joyeux rapport, la neuropsy m’a fait part des ses « recommandations ». Donc si je veux continuer dans cette belle voie de développement personnel je dois m’atteler à la tâche et entre autre, me dénicher une psy, pas une neuropsy, une vraie de vraie psy. Vous savez de celles qui vous laissent parler toute seule sauf pour vous reformuler ce que vous venez de dire ? Paraitrait-il que cette humaine va potentiellement m’aider à gérer mon stress, parce que je ne sais pas si vous êtes d’accord avec moi, mais ce sale stress, c’est bien lui le gros méchant dans l’histoire. Alors si je veux me battre à armes égales avec ce vilain, ça va me prendre des outils, il se dit à travers les branches, qu’une psy, ça fait ça dans la vie entre autre, t’aider avec le stress.
Oh là là, je suis folle de joie (saisir le sarcasme ici pour illustrer que je n’ai pas spécialement envie de me prêter à l’exercice), mais il faut ce qu’il faut. Et tant qu’à faire quelque chose, autant le faire correctement. Je décide donc que je vais m’investir à fond. Il faut comprendre que pour moi, si je veux lui donner une petite clé sur mon âme, ça passe par le fait d’être 100% honnête. Je me dit, je vais essayer de ne pas lui servir la cassette, je vais lui dire ce que je pense quand je le pense au lieu d’utiliser le petit personnage programmé pour faire face aux diverses conversations. Wow, le plein de bonne volonté que j’ai. Allons-y !
Première rencontre avec madame la psychologue
J’entre dans la pièce, scan rapide de l’environnement, scan œil de lynx sur ma future interlocutrice (je ne pense pas à dire bonjour, plus important à faire)… et là ma belle entrée en matière… «Ce n’est pas votre bureau ça, ça parait que ce n’est pas votre bureau, ce n’est pas qu’il est laid ou que les couleurs ne sont pas harmonieuses, mais ça se voit que ça ne va pas avec vous, ce n’est pas le bon style ! » – que je lance d’un air de reproche. Comme me le fera plus tard remarquer mon conjoint, ce n’était pas tant que ça l’idée du siècle. Et là ça commence, elle tente de me poser des questions mais je ne suis pas capable de répondre adéquatement. Étant donné que je ne peux pas faire mon analyse habituelle avec le bureau et l’environnement, comme c’est un bureau emprunté, il ne reste que la personne qui est en face de moi. Et là le cerveau décolle, je m’imagine déjà savoir un paquet d’affaires mais je vais devoir les valider. Sauf qu’elle ne me laisse aucune marge de manœuvre, elle ne bouge presque pas, mesure tout ses mots comme s’ils allaient lui exploser dans la bouche si elle se trompait, elle contrôle sa respiration, bref, elle m’énerve.
Deuxième rencontre avec madame la psychologue
Je sais d’avance que l’escalier pour monter dans la salle d’attente ne sent pas très bon, alors je prends une grande respiration pour gravir les marches le plus rapidement possible. Il y a 25 marches, j’aurais nettement préféré 24 car c’est plus facile pour le rythme, mais 25 il y a moyen de faire quelque chose avec ça. C’est un chiffre carré. Bon il est impair, donc imparfait et je vais terminer sur quelque chose d’asymétrique, mais je sais déjà à peu près quelle pression je vais mettre sur mes pieds pour avoir une sensation relativement neutre à l’arrivée. Je suis arrivé à destination. Je me pose sur la même chaise que la dernière fois, bien entendu. Par chance qu’elle est toujours libre. Ce n’est pas une mauvaise place puisqu’ elle laisse la possibilité aux pieds de ne toucher aucune ligne des tuiles. C’est caché un peu, j’ai un œil sur la sortie, c’est pas mal l’emplacement idéal pour si il faut partir en courant. Non pas que j’ai l’intention de fuir mais bon… Je replace la musique dans mes oreilles. Elle n’aura pas le choix de venir me chercher comme je n’entendrai pas mon nom. En même temps, ça va m’éviter de me casser la tête pour quand je devrai marcher en passant devant la secrétaire, je n’aurai qu’à calquer mon pas sur la psy, et tout ira rondement. Allez, au pas, camarade, Au pas, au pas, au pas.
Retour dans le fameux bureau qui n’est pas à elle donc qui ne lui ressemble pas. Si je veux avancer dans cette histoire je vais devoir lui expliquer un comment ça pourrait être possible… « Bon, écoutez… Moi, j’ai besoin de savoir qui j’ai en face de moi, c’est quoi vos motivations dans votre travail, et pourquoi vous avez choisi ce métier. Ça me prends un minimum d’interaction parce que là, je ne peux même pas dire si vous êtes une bonne ou une mauvaise personne et ça m’énerve ! » Je lui donne cette information d’à peu près toutes les manières qu’il est possible de le faire en espérant qu’elle mijote un peu là dessus et qu’elle s’adapte pour la semaine d’après. Elle ne semble pas particulièrement enchantée à l’idée. Donc, à ma déception, malgré mes efforts, c’est la cassette qui sort aussi avec elle parce que je n’arrive pas du tout à connecter. Et en plus ses vêtements n’ont jamais de couleur. C’est important la couleur.
Troisième (et dernière) rencontre avec madame la psychologue
On m’a dit d’essayer trois rencontres, je ne dit pas que la personne qui m’a donné ce conseil a la science infuse , mais j’ai confiance en elle. Alors, malgré que j’ai l’impression de me diriger vers un endroit aussi palpitant qu’un musée de l’asphalte, je tente quand même de prendre de belles résolutions et de laisser la chance à la coureuse. Je refais donc le même petit procédé dans les escaliers et je retourne à la chaise idéale pour moi. Ensuite elle vient me chercher. J’entre dans le bureau, tente tant bien que mal de placer mes multiples chandails pour que ça forme un tout homogène et je tarde légèrement à m’asseoir. C’est là qu’elle y va d’un petit rire. Est-ce une tentative de rapprochement, un élan inédit de bonne humeur, un rire nerveux ? Ne sachant pas trop, je réplique d’un rire sensiblement similaire. Oh ! Elle semble avoir atteint un petit objectif puisqu’elle lance : « Pourquoi vous riez ? », question qu’elle semble avoir préalablement préparé pour ce moment clé (oui, je crois qu’on a un petit pléonasme ici, mais j’aimais la phrase comme ça). N’ayant pas moi même envisagé à l’avance de réponse à cette question je lance la première chose qui me passe par la tête, qui est somme toute la vérité je crois.. « Ben parce que vous riez ? » Je ne vois pas trop ce qu’elle comptait faire avec ça. On repart donc sensiblement vers le même schéma.
Je lui explique que je n’arrive pas à avoir confiance en elle et que donc, ce n’est pas possible pour moi de m’ouvrir. Et là ça tourne en rond et ça tourne en rond et elle demande ça prendrait quoi ?
« Sérieux ? Pour vrai de vrai de vrai vous me demandez ça prendrait quoi ?
Mais je m’évertue à le mentionner depuis le départ !
- Vous ne voulez rien me dire sur vous.
- Vous ne réagissez jamais avec des expressions du visage.
- Vous ne faites pratiquement aucun micro-mouvement.
- Vous pesez tout vos mots.
- Ce n’est pas votre bureau et je ne peux donc pas analyser l’environnement pour deviner un peu.
- Vous ne répondez à aucune question.
- Je ne sais pas si je suis la tâche désagréable de la semaine.
- Un ordi ça ferait la même affaire et ce serait moins stressant.
- Et en plus vous me vouvoyez ! »
Ce n’est pas agréable ça, pas agréable du tout, je n’ai peut-être pas l’air de l’observer, sauf que j’ai savamment développé des trucs pour regarder sans regarder et même du coin de l’œil, je vous le dit, elle est impassible. Elle m’a même lâché que son travail n’était pas de me rassurer.
Donc pour cette psy là, je pense que je vais passer mon tour. J’ai une petite liste qu’on m’a donné et je vais essayer la suivante. Croisons les doigts, peut être bien que le prochain article qui parle de psy sera plus rigolo… J’aimerais mieux qu’elle fasse quelques bêtises et qu’elle se mette les pieds dans les plats en se trompant que de voir cette personne tenter de masquer l’ensemble de ce qu’elle est. voilà, c’était la phrase philosophique de la journée.