Je hais les demies-mesures. Elles ne m’aiment pas non plus. J’apprécie les entiers, les choses bien complétées, l’absolu et la totalité. J’aime à fond, je me donne à fond et je réagis parfois bien trop drastiquement aux intempéries de la vie. On me trouve de temps à autre excessive (probablement avec raison), mais j’ai ce besoin d’aller au bout des choses.
Attaque de cheveux
Il y a de cela une bonne vingtaine d’années, l’ami de mon copain de l’époque avait cette fâcheuse habitude de constamment remettre en question mes choix et il réprouvait sans cesse mes façons de faire. Son côté envahissant brimait mes libertés et je me sentais totalement opprimée. Je n’avais aucun outil social pour me défendre et je m’écrasais sans cesse dans mon propre chez-moi sans me protéger. Ce pacha prenait toute la place et se pavanait tel un petit despote malveillant. Un jour, il s’est mis à critiquer le fait que je conservais plusieurs petits bouts de laines de toutes les couleurs. Selon monsieur, ça ne servait à rien et ma collection c’était n’importe quoi. Pourtant, ces petites ficelles multicolores, je m’en servais pour attacher mes longs cheveux avec originalité. Bon j’entends les commentaires, je sais bien, les morceaux de laine comme décoration capillaire ce n’est pas très tendance, mais je suis aspie, et les aspies, elles ont parfois un petit décalage pour suivre la tendance. Toujours est-il que cet échantillonnage polychrome j’y tenais. C’était la pointe de l’iceberg de ma personnalité créative que d’attacher mes tresses avec cette matière originale et différente. Il venait de s’attaquer à mon intégrité artistique.
Incapable d’exprimer ma colère avec des mots et encore plus mortifiée du fait que mon ex-petit-ami ne prenne pas ma défense, et ce jamais… je partis avec un besoin irrépressible de poser un geste symbolique qui parlerait à ma place. On ne voulait pas me laisser orner ma tête à mon gré, c’est bien alors, je n’avais donc plus besoin de chevelure. Je ne fis ni une ni deux et je décidai d’un trait me faire raser le coco (crâne) le plus court possible. Ça m’a fait du bien. Oui, la revanche ne s’attaquait qu’à moi seule, mais c’était le seul moyen de protestation que j’avais sous la main à ce moment-là.
Une élève qui se donne à 100% et pas mal plus encore.
À l’école, si on me donnait une tâche à accomplir, vous pouvez être certain que je m’investissais intégralement. Pourquoi faire quelque chose à moitié si on peut le faire pleinement. Lors d’un cours d’anglais, la professeure eut la bonne idée de nous donner une tâche pour le lendemain. Il fallait trouver le plus de mots possible avec au complet ou en partie les lettres du mot ”demonstration”. Par chance que je n’avais qu’un dictionnaire anglais-français sous la main et non pas un vrai avec plus de termes, car j’entrepris de lire au complet les sections dans lesquelles il pouvait y avoir ces mots. Cela ne me suffisant pas, je fis une belle mise en page (et Word n’existait pas encore). De mémoire, c’était sur écran noir et je ne pouvais pas sauvegarder. Pour chaque mot j’incluais aussi la définition en français en bonus. Au total, je revins le lendemain avec une belle liste de 370 mots. Je les ai retrouvés en fouillant récemment à la recherche d’indices sur ma scolarité, pour essayer de comprendre… Les autres élèves, les plus studieux en avaient tout au plus une quinzaine.
Lors de mes études pour mon métier actuel, nous avons eu comme projet ce devoir fort intéressant. Il s’agissait de faire un autoportrait à la manière d’un peintre. Je n’ai jamais été à l’aise de me dessiner personnellement. Ma vision de moi même ne pouvait passer que par un filtre mécanique et robotique. Je voyais mon corps plutôt comme une machine utile, une enveloppe pratique. Voilà pourquoi je choisis d’imiter le peintre Fernand Léger dans cette démarche. L’aspect lisse, industriel et sans émotion romantique de ses œuvres me plaisait. Mais comment me représenter moi, coincée avec cette apparence humaine que j’affichais sans le faire exprès ? Je décidai donc à nouveau de m’en prendre à ma chevelure. Par chance, à cette époque je n’avais plus les longs cheveux du début de ce texte. Cette fois je n’ai laissé aucun millimètre de poils. Je voulais le crâne bien lisse de Monsieur Net. Avec cette allure, je fus capable de produire le fameux autoportrait demandé pour lequel j’eus quand même 100%. Seul bémol, c’était l’hiver, et même avec la meilleure des tuques mon crâne fut congelé durant un bon deux mois dès que je plaçais un orteil dehors.
Le ballon du contrôle.
Toujours dans cet esprit de m’investir corps et âme dans la moindre décision que je prenais, un jour j’ai décidé de commencer à jouer au ballon-poire. Je me suis mise à me pratiquer sans aucune retenue. Je passais mes soirées à taper sur le ballon comme une enragée. Tellement que l’intérieur de mes bras est devenu tout crouté brun-orangé. La peau était bien dure et sèche, mais j’avais enfin la maitrise de quelque chose. J’adorais le bruit sourd que ça produisait ; je pouvais créer des rythmes avec mes mains et ça me faisait du bien que ce soit douloureux. J’avais l’impression de reprendre le contrôle sur un aspect de ma vie et sur mon corps et en même temps c’était un défouloir d’une remarquable efficacité. J’y pensais tout le temps… jamais rien à moitié. C’est ça. C’est moi.
Les couleurs, mais un peu trop…
Au secondaire, vers l’âge de treize ans, je fis la merveilleuse découverte des couleurs fluos. Je m’ornais de fluorescent de la tête aux pieds et ce, même lorsque la mode fut définitivement terminée. Les lacets, les accessoires, les chandails, les objets, tout était de ces teintes hallucinantes. On m’a alors surnommé Miss Bonbon pour un temps. Plus tard, ce fut le vert kelly et le vert émeraude et le bleu royal. Encore aujourd’hui, dès que j’entraperçois un objet d’une de ces merveilleuses teintes c’est comme un aimant géant, ça me procure une émotion indescriptible. J’en suis dingue ! Toujours un peu trop intense. Mais je suis comme ça.