Dans la famille de mon conjoint, ils sont quatre enfants. Et tout le monde a des enfants ou va en avoir sous peu, ça fait du monde ! Beaucoup de monde… Cette année les frères et la sœur de l’amoureux passeront la veille de Noël dans « l’autre famille » et la traditionnelle soirée est reportée au lendemain avec tout le monde ensemble sans déplacements. C’est la première fois. C’est bien, ça évite un branle-bas de combat d’horaire difficile à gérer parce que normalement ils divisent leur soirée en deux et ne sont là que la moitié du temps. Je n’aime pas ça quand les gens entrent et sortent et qu’on ne sait jamais exactement qui sera là quand. Ça crée de l’agitation. Tout ça pour dire que mes beaux-parents sont donc seuls le 24 décembre et qu’ils ont accepté de venir souper à la maison.
Pourquoi ça ne va pas ? Difficile à dire quand tu analyses mal ton corps.
On est de bonne humeur, il est midi et on a encore bien le temps pour se préparer. En sortant de la douche, je choisis un des vêtements chics, mais pas trop. Faut pas exagérer quand même… Mon chéri a préparé un beau petit festin et tout le monde est content. Pourtant, je rush. Et il n’y a aucune raison valable. Je suis déçue et pas fière puisque dernièrement, depuis le diagnostic, on dirait que j’en ai moins lourd sur les épaules et de me comprendre me fait me sentir mieux. Alors de voir pointer le début d’une crise d’angoisse maintenant, quand tout l’environnement crie que je suis censé être joyeuse et festive, je trouve ça absolument ridicule. Mais c’est là, ça me serre, j’ai la gorge toute compressée et j’ai l’impression d’avoir un fantôme qui tient méchamment mon cœur en otage. J’ai à nouveau les oreilles qui brûlent et de la difficulté à avaler.
Je fais part de la situation à l’amoureux en espérant qu’il m’aide à comprendre. Face à un problème, il est en mode constructif et donc, il tente de m’aider à trouver la source de la panique qui s’installe. « C’est le souper qui te stresse ? » – Non. Il énumère un paquet de possibilités et il croit que c’est parce que j’ai faim, mais ce n’est pas ça. Avant que la situation ne dégénère et que je ne puisse plus rien y faire, je tente de comprendre comment ça a commencé, à quoi j’ai pensé, qu’est-ce que j’ai bien pu faire et tout à coup, bang, ça me saute aux yeux.
Je retourne dans ma chambre, retire mes vêtements chics pour renfiler quelque chose de très doux et effectivement, lentement, la guerre intérieure secoue un drapeau blanc et je parviens à me calmer. C’est extrêmement positif, j’ai l’impression que depuis que je me donne le droit d’être moi, c’est plus simple, ça me permet d’avoir accès à des réponses et solutions. Par contre, je comprends ici que les vêtements chics me font angoisser, pourquoi ? J’ai ma petite idée là dessus… je sais bien que tout ne vient pas de l’enfance, mais là, c’est flagrant. J’ai associé cette tenue à tout ce que je détestais petite. Oui, le fait que je ne supporte aucun tissu raide n’aide en rien, mais le gros du problème ne vient pas de là. Petite note mentale à ce sujet, je vais devoir revenir là dessus dans mon processus de réflexion. Mais pour l’instant c’est la veille de Noël et je suis déterminée à retrouver la bonne humeur.
Les petits obstacles pas graves
Les préparatifs vont de bon train. On va manger de la fondue chinoise. Je veux que tout soit parfaitement prêt avant l’arrivée des beaux parents. L’amoureux cuisine et moi j’installe la table. Juchée sur un minuscule petit marchepied pour atteindre les baguettes et les bols, j’ai le vertige. Dès la première marche, je suis déjà déséquilibrée. Mon conjoint trouve ça très drôle. Il sait parfaitement comment je me sens maintenant…très chambranlante. C’est pourquoi il décide que c’est une bonne idée de me menacer de taquineries diverses. C’est toujours un problème quand je suis grimpée, je sais que redescendre sera ardu, et là j’ai mon petit comique d’amoureux qui me déstabilise. Je deviens immédiatement non fonctionnelle. Non seulement je ne peux plus descendre, mais je n’arrive pas à récupérer ce que je voulais dans l’armoire. Je ne veux surtout pas lui tourner le dos, il risque de faire une niaiserie et j’ai peur de tomber, en plus je déteste avoir quelqu’un derrière moi, spécifiquement si j’ai les bras occupés. C’est comme dans les escaliers, je veux être la dernière de la file, clore la marche. Donc pas question d’effectuer ma tâche tant qu’il n’aura pas reculé (sous mon insistance), bien en vue, à l’autre bout de la pièce, ce qu’il fait non sans me lancer des petits regards malicieux.
Je dispose les sept couverts sur la table. Une belle nappe rouge à pois blancs, joyeuse, régulière, symétrique, avec un motif répétitif bien net supporte le tout. Joie. Lorsque je dépose avec minutie l’assiette destinée à mon beau-père, j’espère bien fort qu’il ne jouera pas encore à la placer en diagonale. Au dernier souper, il s’était amusé à la tourner de 45 degrés de la sorte. Les diagonales qui ne se terminent pas me sont insupportables, je n’ai aucune idée du pourquoi du comment, mais ça me chatouille le cerveau. Ça se transforme vite en obsession et ça prend toute la place. Je la remettais donc droite à chaque fois et à un certain moment, stressé, légèrement en surcharge à cause du bruit environnant mon bras a traversé la table bien trop vite pour la replacer et entre autres, l’assiette de ma belle mère s’est retrouvée avec du verre cassé dedans. Par chance, il restait du spaghetti. Des fois je me demande comment ils font pour m’endurer. Toujours est-il qu’en déposant le plat, je souhaite bien fort qu’il ne le refasse pas ce soir.
J’étale les baguettes à fondue sur le comptoir et je fais des petits paquets en réfléchissant à la personnalité de chaque personne. Les couleurs et le style doivent correspondre à comment je perçois les individus. Mon fils (ado) et moi avons donc du vert, notre couleur favorite, mon plus jeune qui est un feu d’énergie le rouge, ma fille très féminine obtient le mauve, ma belle-mère, un vrai rayon de soleil gagne le jaune. Bleu pour mon conjoint et son père, une couleur rassurante qui leur va bien. Ce classement par tonalité me rassure, j’aime associer mon attachement à des coloris, ça permet de mettre de l’ordre dans ma tête en lien avec le fait que j’aime. C’est une structure et un mode de communication avec lequel je suis à l’aise de classifier par couleurs.
J’ouvre la porte d’armoire pour récupérer mes belles serviettes de table. Elles sont noires à pois blancs, tout en harmonie avec ma nappe, mais ce qui me saute aux yeux c’est un nouveau paquet blanc, laid, vieillot, de serviettes de Noël. Oh non ! je demande au chéri pourquoi il a acheté une telle horreur et il mentionne que c’était gratuit à l’épicerie. Mon désir de respect des règles est fort, si j’ai des serviettes de Noël je dois les utiliser cette journée-là, mais elles ne me plaisent pas et vont défigurer mon agencement. Je peste intérieurement, mais je n’ai pas le choix. La table est mise. Tout est parfaitement droit et bien réparti de manière égale. Je suis satisfaite.
Tellement besoin de stabilité.
Mon conjoint m’apprend que je serai assise au bout de la table. Non ! Pourquoi ? Il m’explique qu’avec mes intolérances alimentaires, c’est la seule configuration possible pour que ce soit pratique pour tout le monde. Ma place à table est toujours la même et pour décider laquelle c’était lorsqu’on a déménagé, j’ai dû faire une liste des avantages et des inconvénients des six emplacements possibles. Une fois ceci déterminé, c’est coulé dans le béton. Je propose des idées et solutions me permettant de conserver mon lieu habituel, mais rien ne le convainc, même pas mon regard piteux. Il bouge les assiettes que je tente de replacer derrière lui. Toute l’organisation des couleurs est déconstruite et moi aussi, mais ce n’est pas le temps de faire le gros bébé, ce serait du caprice et mes visiteurs vont arriver… n’empêche, je suis inconfortable pour vrai. C’est réellement quelque chose qui me déstabilise, comme si on m’enlevait une couche de protection. Allez savoir pourquoi.
Pour éviter d’à nouveau paniquer comme ce midi je décide d’enfiler une sorte de robe à grosses rayures noires et blanches qui n’a aucun élastique qui me sert, aucun fermoir, que du mou tout doux. Par contre, malgré ce qui conviendrait je n’utiliserai pas les bas de nylon (pour ne pas être en surcharge sensorielle) et je vais garder mes énormes pantoufles poilues. Comme je n’ai pas de bas collants, je mets dessous un short moulant qui sert à être décente si je bouge. Étant donné que je ne porte des robes que dans de très rares occasions, je crains toujours d’oublier que je suis habillée comme ça et de faire un mouvement stupide. Je désire tout de même que le short soit invisible et ne serve qu’en cas d’urgence alors je cours vers l’amoureux en lui demandant si ça parait. Il répond : « Quoi, les bas verts ? » Oups, mes bas rayés verts sont visibles… Je les cache un peu et c’est réglé, me voilà prête à passer une belle soirée. C’est ça qui est pratique avec les personnes de mon entourage, je n’ai pas besoin de me soucier des détails qui n’ont pas une réelle importance. Ils préfèrent me voir de bonne humeur avec des grosses pantoufles que de mauvaise humeur en talons hauts. Ce serait difficile de toute manière puisque je n’en possède pas et que ce n’est nullement dans mon intension de tenter d’épuisantes acrobaties grimpée là-dessus. Les priorités à la bonne place, ils ne sont pas superficiels, ça m’arrange.
Les belles choses à se rappeler toujours.
Après le souper nous échangeons cadeaux et cartes. Ma fille a écrit de superbes mots personnalisés pour chacun. Dans ma carte je lis et je cite : « Maman, (…) tu te fais plus confiance et tu te laisses aller, tu te soucis moins de ce que les autres peuvent penser (…) Je t’aime ! Ce qui étonne étonne une fois, mais ce qui est admirable est de plus en plus admiré. » Je suis bouche bée. C’est vrai que j’ai travaillé fort cette année, suite au diagnostic d’Asperger, pour me sentir mieux dans ma peau. La petite a vu la différence, cette enfant est une boite à surprises. Qu’elle ait réussi à trouver cette citation pour soutenir son propos me touche.
Joyeux Noël !