Dès les premières prises en main, ils m’ont fasciné. Déjà si élégamment équilibrés, rassurants, bien cubiques avec leur poids réparti de manière absolument parfaite. Enfant, pressés entre le pouce et l’index je passais un temps fou à les faire tourner pour en comprimer les deux faces opposées afin de graver momentanément leur empreinte sur mes bouts de doigts. Que c’était étrange de reconnaitre et d’accepter qu’ils allaient retomber de manière aléatoire même si certaines faces possédaient plus de trous que d’autres. Je mourrais d’envie de les ouvrir en deux pour savoir si on avait, afin de mieux répartir les chances, percé des petits trous en leur centre. Mais comment aurais-je pu attenter à la beauté d’un tel objet ? Mes premiers étaient blanc crème et un jour j’en ai eu un rouge, puis un noir et un vert. Il y a bien juste ici que je peux m’épancher sans retenue sur un sujet aussi banal pour monsieur madame tout le monde. Le merveilleux et riche monde des dés.
La musique en plastique
Le claquement rythmé entre mes paumes accueillantes, la diversifiée symphonie des pièces plastifiées, la multitude de contacts parfois du coin, parfois du centre entre eux offrent un mélodieux chant dont l’écho se maintien temporairement sous mon contrôle dans le carcan serré défini par la seule taille de mes mains. Je suis une caisse de résonance vivante, la chef d’orchestre d’une percussion délicate. Ce moment magique durant lequel je relâche le groupe d’objets, leur atterrissage roulant et vivant, synonyme d’un résultat palpitant, ce petit fracas sur un plateau cartonné est un sublime petit bruit dont je ne me lasserai jamais. Surtout que j’ai découvert que plus la qualité des dés est bonne, plus le son qu’ils produisent est extatique. Si leurs coins sont arrondis, la largeur de la gamme est amplifiée et les combinaisons sonores sont exponentielles.
L’équilibre d’une taille idéale
J’ai essayé diverses grandeurs, mais j’ai trouvé la mienne, on dira que ma collection s’en retrouve limitée, mais je conteste. Jamais le chatouillis au creux de ma main ne pourra m’offrir de petit massage aussi délicat et réparti qu’avec cette irréprochable taille de cubes. Vous me direz, mais tu n’as pas que des cubes, je suis au courant, j’ai mes tétraèdres pour un résultat sur quatre même s’ils semblent montrer trois réponses, pas comme leurs cousins octaèdres qui annoncent d’emblée leur couleur. Malgré la diversité numérique pouvant être obtenue par les pièces de mon exquise collection, les masses des objets sont relativement semblables. Les cubes sont majoritaires, mais tels les humains, ils sont heureux de côtoyer des confrères divergents ou différents.
Œuvres d’art flamboyantes et assumées
Leur robe annonce leur intérieur, pas d’hypocrisie avec eux, pas de plaqué qui s’effritera éventuellement, ce qu’il y a dehors, c’est ce qu’il y a dedans. Certains nous donnent même la permission de regarder au travers, tel un filtre oculaire vers un nouvel univers saturé d’étranges coloris. Les teintes se chevauchent et s’enchainent dans mon coffre aux trésors. Des dégradés, des pétillants tous brillants, des éclats, des puretés sans faille, des vagues envoutantes, ils sont tous uniques et incroyables. Collection multicolore, j’y plonge mes mains avec cette impression de me laver dans une galaxie magique.
Les dés, c’est pas que pour jouer
Quand je veux me gâter, je me fais des séances photo avec eux afin qu’ils puissent être mis à l’avant-plan de manière structurée et artistique. Pyramides, séquences régulières, symétries mystiques et parfois même des montages erratiques et déstructurés me permettent de les examiner ensuite en gros plan à l’ordinateur ou en imprimé. La délicatesse est de mise, car ils sont susceptibles et menacent de s’écrouler ou de se déplacer au moindre manque de patience de ma part, et alors tout est à recommencer. Lorsque j’ai un cliché digne de ce nom que je trouve à mon goût, je tente de partager ma passion avec mes connaissances neurotypiques. J’ai envoyé des photos de mes réalisations à mon « pusher » de dés en n’écrivant que ceci comme introduction à notre communication par messagerie Facebook : « Tes produits… ». J’ai eu un « cé ben beau ça » comme réponse, ce qui est déjà pas mal. Comment aurait-il pu comprendre à quel point l’autiste asperger que je suis lévitait en visualisant son cliché.
J’ai de la chance, mon intérêt spécifique peut être nourri, rassasié et alimenté à bas prix et sans trop de contraintes. J’ai un marchand, une toute petite boutique à côté de chez moi, un minuscule lieu de rencontre pour les atypiques joueurs de Donjon, Magic et jeux de société variés. Et les dés sont offerts dans une variété à faire rêver n’importe quel passionné du sujet. Auparavant, lorsque je voulais me procurer ces addictifs produits je devais les commander sur internet. C’était long avant d’assouvir mon élan. Demain, sans doute, j’irai me procurer une petite dose de cubes en plastique pour satisfaire mon envie.
Note au sujet des intérêts spécifiques :
Les intérêts spécifiques sont une des caractéristiques du syndrome d’Asperger. Il est possible d’en avoir plus d’un et ces intérêts spéciaux peuvent évoluer et changer au fil du temps. Collectionner, ordonner et classer les objets, pour un autiste, c’est souvent rassurant et agréable.