Il me semble qu’on n’avait pas vraiment pris le temps de faire connaissance moi et moi. Je vivais à côté, je vivais dedans, je vivais à travers, mais je n’avais jamais regardé les détails. Concentrée sur l’essentiel, être une bonne mère qui aime ses enfants et les stimule intellectuellement, être une bonne conjointe, coéquipière de son amoureux, travailler, bien le faire, j’avançais toujours comme ça et ça se déroulait quand même bien. Souriante, j’étais contente.
Je courais à travers la vie, motivée, mais essoufflée et si je tentais de m’arrêter pour prendre une gorgée d’introspection je prenais peur et me sauvais en détalant encore plus vite. Voyons donc, c’était bien trop intense et effrayant. Me poser des questions et analyser qui j’étais ça ne faisait pas partie de mes plans. Tout fonctionnait, pourquoi j’aurais risqué de démantibuler ma vie pour un regard à la loupe de mon nombril ? Non, on fonce, œillères en place, objectif dans la mire, pas de distractions. Je détestais le sommeil (ça ce n’est pas encore réglé), je fuyais et je fuis encore toute tentative qui ressemble de près ou de loin à de la relaxation. Mais l’ombre, elle ne te lâche pas comme ça parce que tu fais comme si elle n’est pas là.
Merci à ceux qui m’ont fait allumer, et surtout à celle qui m’a poussée très fort vers des tests que j’ai faits dans un état de terreur absolue, parce que j’avais plus le choix, parce qu’elle m’avait bien défilé la liste des incongruités de mon personnage et qu’à moins de me couper la tête je ne pouvais plus y échapper. J’avais mis les deux mains dans le pot de peinture et ça dégoulinait partout. Chaque geste que je faisais était maintenant teinté des gouttes de couleurs qui affichaient impertinemment leur différence et leur contraste. Je ne pouvais plus bouger sans que les traces m’accrochent les yeux tels des indices d’ informations qui étaient maintenant impossibles à ignorer délibérément.
L’apprendre et l’annoncer
Puis l’annonce du diagnostic doublement confirmé. Je suis Asperger. Coucou, t’es une aspie. Ton cerveau, ben…il est pas pareil. Tu le savais au fond hein ? Pourquoi tu t’en es pas occupé avant ? Haaaa ! Je sais. Tu avais peur qu’on ne t’aime plus ? Tu craignais que ton conjoint ne veuille pas d’une autiste comme partenaire de vie ? Ça a l’air fou ? Ce n’est pas de son niveau ? Il est trop bien pour toi et ça, tu l’as toujours pensé alors de donner un argument de plus à ta crainte, c’est dangereux, c’est ça ? Tu croyais que tes enfants n’auraient plus foi en ton jugement, en tes conseils ? Qu’on se poserait toujours la petite question, est-ce que je devrais la prendre au sérieux, c’est une Asperger tout de même.
Puis j’ai pleuré, comme on dit en québécois j’ai eu la chienne. Mais le livre ouvert que je suis ne pouvait pas garder de secret. Il menaçait de s’étendre sans retenue si je n’agissais pas. Je suis donc allé tout doucement au début. La peinture coulait partout et était assez difficile à masquer, mais j’ai déposé mes petites gouttes lentement pour valider les réactions. J’ai créé ma première œuvre d’art sur le lit, dans la chambre, penaude et inquiète. Assise comme une enfant coupable qui vient de tacher son couvre-lit avec ses pinceaux j’ai annoncé ce que je considérais comme étant une grande nouvelle dévastatrice. La première réaction ressembla à la première grosse roche que je retirais du grand sac à dos géant que je trainais sur mon dos depuis toujours. L’amoureux le savait déjà.
Il le savait depuis le premier jour.
Les questions comme est-ce que c’était envisageable pour lui d’aimer une aspie, il avait depuis longtemps pris la peine de se les poser. Puis c’était son choix, sa préférence d’aimer une bizarre, mais qui n’a aucune malice. L’intégrité avait déjà gagné son pari contre le bien paraitre et la spontanéité l’avait emportée sur le contrôle, il avait fait son choix en pleine conscience. On ne peut pas tout avoir, que je sois déconcertante et je que je n’aie aucune maîtrise des codes sociaux c’était secondaire pour lui. Première étape de franchie.
J’ai donc réuni mon assortiment de pinceaux et de rouleaux pour ébaucher les marques de cette découverte à quelques emplacements clés. Et plus je traçais, plus on approuvait. On comprenait mon message, on saisissait enfin la nature de ma personne et en me déclarant, je me délestais du poids des pierres que j’avais accumulées une par une pour les transporter dans mon sac coupable. Les premiers essais furent teintés d’hésitation et de peur du jugement, mais j’avais complètement sous-estimé la bonté et l’intelligence des êtres qui m’entourent. Une fois la tournée complétée, l’exposition encensée, j’avais reçu la permission d’accepter d’être.
Le vivre à 100 %
Accepter c’est un début, mais sauter à pieds joints dedans c’est autre chose. De toute manière, mon sac à dos était encore trop lourd pour que je bondisse sans soucis dans les flaques barbouillées de la toile de ma vie. Ça s’est fait par morceaux, sur une période de quelques mois, puis la semaine dernière j’ai eu comme l’impression que le bagage était vide. Les bandoulières ne pesaient plus sur mes épaules. Sans colis à trainer, sans charge imposée, le sac s’est doucement désintégré de lui-même pour retourner à la nature qui me l’avait prêté afin de m’aider à transporter ma vie en attendant.
Je le voyais déjà que j’étais plus sereine, plus assumée et moins paniquée et paranoïaque sur mes erreurs et mes moindres faux pas. La goutte d’eau qui a fait vider le vase lorsqu’elle s’est évaporée c’est l’article que j’ai écrit sur les dés. Sur mon intérêt spécifique, sur un truc que si on n’est pas Asperger on peut difficilement aimer avec autant de passion sans attirer les soupçons. Je l’ai savouré et délecté, j’ai su pleinement apprécier d’avoir des passions incongrues. Je commence à bien comprendre que plus j’embrasserai qui je suis au lieu de fuir somme une dingue, plus j’aurai accès à mon monde des merveilles. Me voilà donc, samedi dernier, à écrire avec bouillonnement sur ma fascination. Puis là je n’ai pas eu le choix de me voir aller. J’étais juste exaltée, tellement contente, tellement complète, totalement frénétique et énergique. J’ai le droit, je peux. C’est moi. J’aime les dés, puis en plus, c’est correct. Youpi !
Le lendemain, j’ai couru au magasin du vendeur de petits enchantements cubiques pour en acheter d’autres afin d’assouvir ma soif et comme je comptais les prendre en photo j’ai demandé à mon fournisseur s’il savait pourquoi j’en achetais encore. Il m’a répondu en rigolant : Parce que tu as un problème dans la tête ? Puis au lieu que ça me mette mal à l’aise, j’ai répondu : Il y a un peu de ça. – en riant. Ce qui a provoqué des gros yeux de la part de ma fille et un Maman ? étonné. C’était bien, sans stress, j’en avais envie de ne pas être sur la défensive. J’avais même la tentation de blaguer. C’est pourquoi lorsque mon vendeur de dés a encore maugréé parce que je retirais les jouets de ses tablettes je l’ai taquiné en lui disant d’arrêter de faire son vieux bougonneux*.
Bien, croyez-le ou non, mais j’ai enfin su pourquoi il contestait autant lorsque j’achetais un par un les petits objets, c’est qu’il ne voulait pas s’en séparer. À chaque obtention de ma part, c’est un morceau de son engouement que j’attaquais. En fait, cet homme que je connais depuis longtemps, mon approvisionneur de petits bonheurs en plastique, au final, il partage mon fanatisme. Wow. Pourtant, malgré sa réaction, je ne le crois pas comme moi (Asperger). Il a un truc, mais à savoir quoi ? Il fait comme s’il n’aimait pas les gens, mais pas avec moi. Un jour peut-être, je comprendrai. N’empêche, ce fut un moment magique. J’étais moi, je n’ai pas filtré, j’ai été hyper naturelle. Je n’ai rien censuré. Je respirais, puis l’air frais d’hiver m’a soulevée, mes grosses bottes d’astronautes ont réagi comme sur la lune, l’apesanteur m’a portée jusqu’à la maison. J’ai repensé aux derniers mois, au chemin parcouru. J’ai réalisé à quel point l’énergie me sortait par les oreilles, combien je me sentais plus libre et en état constant d’exaltation. J’ai décidé de me gâter, de m’écouter. J’ai créé dix arrières plans de 18 par 24 pouces recouverts de lignes ou de pois, tapisseries de mes obsessions, de mes fascinations, puis je les ai fait imprimer sur du papier d’affiche. Ils serviront de support pour prendre encore plus de photos de dés. Voilà C’est tout. J’aime ça moi, alors pourquoi je m’empêchais de me lâcher lousse**.
J’ai encore mes obstacles, ces petits vilains-là ne vont pas se sauver facilement, mais le retour au bonheur est de plus en plus facile; le chemin est tracé. Les difficultés deviennent des données, des informations à traiter et non plus une partie intégrante de mon moi. C’est rendu séparé. Je les vis, je les constate, je les écris, mais je ne les transporte plus. Ils restent au sol. Puis ils sont enterrés rapidement par mes coups de pinceau, parce que j’ai décidé de dessiner par dessus au fur et à mesure. Je les peins de mots, je les peins multicolores, je les peins comme je veux. Je décide. Puis moi, ma décision, c’est que tout va former une grande fresque, les obstacles en seront la texture, et qu’est-ce qu’on voit en premier sur une œuvre, ce sont les couleurs. Les aspérités et les entraves serviront à ne faire que mieux ressortir les teintes qui les recouvriront. On va voir ma joie.
* D’humeur grognonne
** Laisser se dérouler, laisser libre court