Ne trouvez-vous pas le nombre vingt-et-un (21) absolument laid ? Moi si. Et lorsque mon chéri tout content d’entendre une jolie chanson monte le son, il se peut très bien que ce ne soit pas dans son ordre de priorités que de l’ajuster sur un chiffre plaisant à regarder. Mon froncement de sourcils réprobateur ne l’impressionne en rien, je dirais même qu’il en profite pour rigoler. Le vingt-et-un, ce petit vilain, est le produit du sept (7) et du trois (3), et ces deux-là me tapent sur les nerfs. J’ai bien tenté de lui expliquer que déjà je n’aime pas les nombres premiers, ils ne sont pas symétriques, j’exècre les formes irrégulières qu’ils suggèrent et on a toujours l’impression qu’ils ne veulent pas travailler en équipe. J’ai toujours trouvé le sept particulièrement hautain. On dirait qu’il se balade le nez en l’air avec sa posture en angle, puis une masse de gens croit que c’est leur chiffre chanceux simplement parce que statistiquement, il s’agit du résultat le plus récurant en tirant deux dés, et cette impression ou superstition illogique m’exaspère. Le trois n’est guère mieux, dans les trios une personne est toujours laissée de côté, puis visuellement, son poids est tellement sur la droite que j’ai sans cesse peur qu’il ne roule sur le dos.
Que l’apparition du vingt-et-un sur le panneau de contrôle m’interpelle autant aujourd’hui n’est sûrement pas étranger au fait que nous sommes dans un véhicule et qu’on a cinq heures de route à faire pour se rendre à Montréal. Dès le début du trajet, je suis stressée et stressante, je le sais, mais c’est viscéralement impossible de me tenir tranquille. À chaque petit bouchon, j’arrête de respirer, comme si de bloquer l’entrée d’air allait me permettre de rester à l’abri, loin de cet amas de boites métalliques en mouvement tout autour de moi et qui m’oppressent tant. Par chance l’amoureux, avec un sourire taquin, me laisse paramétrer l’affichage du son sur de jolis chiffres.
Afin de tenir sa meute tranquille, mon conjoint eut la merveilleuse idée de nous acheter avec des friandises. Quelle brillante solution pour avoir la paix de mes lubies et inconforts variés…. C’est donc armée d’un sac d’un Lifesavors que je retournai m’assoir à ma place. C’est une fabuleuse invention que ces bonbons en forme de bouée. J’ai toujours peur de m’étouffer quand je suçote des sucreries sphériques. Leur forme ronde et pleine m’inquiète et souvent je n’ose ni parler ni trop bouger de peur qu’ils prennent le mauvais chemin, soit celui pour respirer, mais là, avec le petit trou au centre, les Lifesavors ont quelque chose de rassurant. Si jamais ils s’enfilaient où il ne faut pas, il me resterait un petit trou pour ma survie. Les irrégularités dans la manière dont le sucre s’amalgame créent des zones de diverses densités d’opacité. À la lumière, à 45 degrés, il est possible de faire briller certains secteurs et on dirait ainsi qu’un monde magique prend place dans ces cercles minuscules. C’est à l’envers qui faut les déposer sur le bout de la langue, soit le logo vers le bas, c’est de cette manière qu’ils peuvent procurer le maximum de sensations. Pourquoi ? Parce que les aspérités de l’image de marque embossée piquent légèrement les papilles afin de procurer une sensation supplémentaire en plus de celle du goût. J’ai fait le test et c’est notable à quel point la production de salive est plus importante en disposant le bonbon comme ça. Et si on est capable de patience, en ne le croquant pas, tout le dessous s’arrondira et cela créera un dessus tout aminci sur les parois extérieures. La bouée se transformera en embarcation en quelque sorte. C’est wow.
Expérience multi sensorielle haute en couleurs.
Je vis au Saguenay, et ce n’est pas les activités qui manquent si on aime être à l’extérieur. Raquette, vélo, camping, pour jouer dehors c’est tout simple. Mais aujourd’hui, nous sommes à Montréal et le choix est tout autre. Pour faire plaisir aux enfants, nous choisissons de les amener au Laser Tag. Nous avions déjà joué à ce jeu lorsque les enfants étaient minuscules, mais nous étions seuls avec eux. Aujourd’hui, je les emmène dans le plus grand centre au Canada. Je me prépare donc mentalement à affronter tout ce que je détesterai. La foule, le bruit et les stimuli envahissants. J’ai bien l’intention d’être une maman le fun quand même. Pourtant, la situation à ma grande surprise fut tout autre. C’est vaste, grand et aéré dès notre entrée, ce qui nous préserve d’une possible densité d’humains collés les uns sur les autres. Nous achetons quatre matchs de sept minutes. Déjà, je suis contente que ce ne soit pas trois matchs, parce qu’alors ça aurait été encore l’éternel retour du vingt-et-un. Nous aurons donc deux séries de deux parties, et j’aime ce total, un beau quatre, tout carré et symétrique. Nous devons attendre dans une pièce ronde comme mes bonbons du début.
C’est extrêmement bien organisé et clair, aucune ambigüité. Pas de risque de tricherie, c’est d’une clarté limpide et ça, déjà, ça me parle. J’ai joué à quelques reprises au paintball, mais les dernières fois, les règles étaient plus ou moins suivies par mes adversaires, et aussi par mon équipe, donc ça m’a complètement dégoutée d’y participer. Comme je ne peux m’empêcher de suivre à la lettre les consignes (comme beaucoup d’aspergers) , je démarrais mes parties totalement pénalisées face aux autres. Ici, ce ne sera pas le cas et c’est un truc qui me plait et me rassure. Puis soudain, l’instruction qui me réconforte, pas le droit d’approcher à plus de deux mètres de qui que ce soit. Génial ! J’ai une bulle imposée par les règles du jeu ! Ha ! Ha ! C’est trop bien ça. Au début, nous devons nous placer devant une borne de départ, et notre costume s’allume de la couleur de notre équipe, ainsi que notre faisceau lumineux sur l’arme lorsque nous attaquons. Je commence hésitante et cachée, je suis en mode discrétion. Mon premier essai me sert à apprivoiser l’environnement. Doucement, je réalise que ce n’est pas bruyant lors du jeu, car tout le monde tente de rester furtif et ceci me donne envie d’abaisser mes murs de protection ce qui laisse la porte grande ouverte à l’environnement pour m’atteindre. De plus en plus souvent, lorsque je ne me sens pas en danger, je tente cette exploration extérieure. Des fois c’est désastreux et je m’effondre alors en pleurant, c’est un risque à prendre. Mais cette fois la décision est la bonne, puisque je commence à réaliser que tout autour de moi est particulièrement joli. L’endroit est d’une propreté immaculée, il n’y a pas le moindre grain de poussière, aucun objet qui ne soit pas parfait. Des formes géométriques et des couleurs joyeuses éclairent l’environnement avec parcimonie. Ce n’est pas agressant. Puis moins je m’inquiète, plus je savoure.
Activité de Lasertag – BoulZeye – Source de la photo : boulzeye.ca
C’est au troisième essai que je m’ouvre totalement à cette atmosphère particulière et c’est alors que je remarque les effets des blacks light sur les vêtements des gens de mon équipe durant que nous attendons le départ. Une étrange émotion d’émerveillement m’envahit. C’est juste tellement exaltant pour les yeux et quand ça m’arrive je suis transportée, fébrile et si enthousiaste. Je suis excitée comme une enfant en face d’une maison en bonbons. Je m’exclame et je trépigne de joie en nommant à tout vent à quel point tout ceci me transporte. Comme les adultes autour de moi risquent peu de triper aussi fort, je m’adresse à l’enfant la plus jeune. Regarde tes chaussures ! As-tu vu ? C’est super beau hein ? Tu as vraiment de beaux souliers !!! et je n’arrête plus de commenter avec des ohhhh et des haaaaa les effets de la lumière noire. Ça y est, je suis dans cet état de relâchement que j’aime tant, celui qui me donne la permission d’être moi, authentique et sans filtres. C’est pourquoi lorsque nos combinaisons s’allument et que le départ est décrété, je suis totalement immergée et en symbiose avec ce qui m’entoure. Une sensation euphorisante me porte et je deviens ultra concentrée, tout devient clair et limpide et comble du bonheur, je suis la personne qui marque le plus de points, et nous étions vingt personnes lors de cette partie. Vingt. Quel chiffre esthétique tout de même, n’est-ce pas ?
J’observe de plus en plus la causalité entre le fait de cesser de me brimer et mes compétences diverses. Plus je me ferme, moins je suis apte. L’énergie déployée à tenter de jouer constamment à être normale, neurotypique, soit ne pas dire de choses différentes et contrôler mes choix de mouvement ne me sert pas. Non seulement ma différence demeure visible, mais elle installe un sentiment de malaise puisque ça m’angoisse et me bannit du groupe, et ceci n’est pas la faute des autres. C’est mon silence, mon inconfort et ma peur qui transparaissent. Encore une fois, l’expérience continue, et c’est valide pour n’importe qui, autiste ou non. Être soi même nous permet d’accéder au meilleur en nous. Aujourd’hui, une mère a laissé ce message sur le fil de commentaires. À sa fille elle dit : Laisse-toi aller, on ne te juge pas, on est là, arrête de t’interdire de vivre. C’est exactement ça.