Cette semaine on m’a posé cette question à laquelle j’ai répondu par quelques mini exemples que j’avais à portée de main, mais pour vrai, ça m’a fait réfléchir. Je ne peux pas juste être moi, à vivre ça toute seule, à être comme je suis sans m’en soucier. C’est évident que ça change des choses pour mes humains miniatures.
Opinion de l’adolescente
Ma fille est hyper allumée à ce genre de discussion, ce n’était presque même pas stressant de lui demander. Je lui ai quand même exposé l’ensemble du contexte m’ayant mené à cet échange, un peu pour me justifier de poser une question reliée à moi, parce que je culpabilise. Il y a toujours cette peur d’être une égocentrique ou je ne sais quoi si je tente d’aborder le sujet nommé moi…
Sa réponse
Ça ne t’empêche pas d’être une bonne mère. Suivi d’un silence de réflexion, comme si elle savait que c’était le point le plus important. Tu es drôle, bien plus drôle que les autres mères, tu nous faire rire tout le temps avec tes niaiseries puis tes gaffes. Mais quand j’étais petite, ça me faisait de la peine lorsque tu m’oubliais par contre. Je ne comprenais pas pourquoi. Maintenant que je le sais, ça ne me dérange plus puis je te téléphone au pire. Oui si j’écoute de la musique par exemple, je peux oublier d’aller récupérer les enfants à leur sport de temps en temps. Il y a aussi que tu ne racontes pas de menteries (ne dis pas de mensonges), ça c’est pas toujours évident, ce serait mieux si tu pouvais de temps en temps. Mais tu joues plus avec nous que les autres parents et tu t’amuses pour vrai. Là tu ne vas pas dire ça à la dame hein ! Tu ne peux pas lui dire que tu es une meilleure mère qu’elle ! Tu le sais que ça ne se dit pas ! Tu vas lui faire de la peine ! Si tu le dis il faut que le dises plus doucement que ça.
Encore en mode protection… elle est dans cette phase à toujours me dire ce qui se dit ou pas. Rire.
Mais non pitchounette ! Si la personne m’a demandé ça, c’est probablement que c’est une bonne mère aussi, sinon elle n’aurait pas eu ce souci-là. Je te le dis, je suis certaine que ça ne lui fera pas de peine… je ne suis pas meilleure qu’elle, en fait, de bons parents il y en a plein, mais je suis contente que tu sois contente.
Je sens bien qu’elle prend des gants blancs et ne dit pas tout. Les plupart des parents neurotypiques encensent tous les dessins de leurs enfants à grands coups de Wow ! Elle aurait sans doute préféré que je la félicite même quand c’était laid et en dessous de ses capacités, mais non. Si je voyais un dessin bâclé et qu’elle me demandait mon opinion, elle l’avait. Je ne sais pas vraiment nuancer….
Et aussi, oui c’est vrai, lorsque je suis investie dans un projet ou dans l’écoute de la musique, je peux oublier que j’ai trois petits loups et il n’est absolument pas rare que le On mange à quelle heure ? me réveille de ce que je fais pour réaliser qu’on devra trouver une solution au plus vite.
Ce qu’elle ne dit pas
Elle n’a pas pensé m’en parler, mais je sais exactement quel désavantage est le plus marqué pour ma fille d’avoir une maman asperger. Je ne peux pas l’aider dans ses relations avec les autres. C’est carrément un désastre. Ses besoins d’avoir des amies, je ne les comprends pas. À son âge, je n’étais tellement pas rendue là. Je n’en voulais même pas. C’est tout récent pour moi d’en avoir.
Les seuls conseils que je connais et que je sais être pertinents c’est : Fais des compliments que tu sais être vrais, aide les gens et laisse les parler, les gens aiment parler d’eux alors tente de poser une question ouverte de temps en temps. Ça s’arrête pas mal là. Au niveau des autres attentes chez les jeunes personnes de la gent féminine, je n’ai absolument aucune idée de ce qui doit être fait. À chacune de mes idées, ma fille proteste haut et fort qu’elle ne peut pas faire ça !!!! Qu’elle aura l’air folle, qu’on la jugera, qu’on rira d’elle. Alors je n’ose même plus proposer de solutions à ses interrogations. Sur cet aspect, je me sens incompétente et je le suis.
On a même déjà eu une aide à la maison qui se présentait chez nous avec une énorme collection de cartes de situations sociales. C’était comme un jeu, des mises en situation. Je me souviens d’avoir trouvé très frustrantes les questions, ça me tapait tellement sur les nerfs et je trouvais tout ça d’un illogisme sans nom. Mais bon, la vie aussi est sensée être un jeu quand on est une ado on dirait, parce que tout ce qui ressemble à la pure authenticité, c’est bien plus tard que ça passera en société (pas partout par contre), et pas à cet âge-là. Puis je trouve ça dommage, ça choque mes valeurs, mais bon, je ne changerai pas le monde… Je sais qu’il faut laisser ma fille mimer les autres, mais je ne comprends juste pas.
Solution, parce que ça en prend une…
Je vais donc continuer à référer ma fille à sa tante pour les réponses de fille que je n’ai pas. Mon bilan, comme mère d’une ado? J’offre un bon environnement pour le développement cognitif, la stimulation est excellente, mais l’enseignement des règles sociales devra se faire ailleurs. En fait c’est comme si j’étais douée dans tout ce qui n’est pas subtil ou vague. Les domaines avec règles claires n’ont pas de secrets pour moi. Ajoutez les devinettes, les non-dits, les intentions, les impressions et vous venez de me perdre dans un désert d’incompétence.
Les garçons, ce n’est pas de leur faute, mais c’est moins compliqué
J’ai entendu mon fils le plus jeune expliquer à ma fille que pour les garçons, afin de se faire des copains à l’école, il suffisait de s’avancer vers le jeu de sport à la récréation. Il ne se casse pas la tête plus que ça. Sa participation aux activités fonctionne pour être inclus dans le groupe. Jamais de questions pour moi, jamais de situations dans lesquelles je me sens plus qu’impuissante. Je ne suis pas confrontée à mes lacunes parce que ce sujet, on ne l’aborde juste pas. Juste jamais.
Il n’a pas à réfléchir à comment faire les choses, pas plus que son grand frère. Être sportifs a suffi à mes garçons pour leur offrir une vie sociale adéquate. Instinctivement ils savaient comment faire, la question ne s’est pas posée, ils n’ont tout simplement pas à y réfléchir. C’est inclus dans leur cerveau. Ils ont le plug-in, ils ont l’astuce. De toute manière ils n’ont qu’à imiter papa.
Expliquer l’autisme à un presque adulte
Quand j’ai expliqué l’autisme asperger à mon grand ado, sa première réponse a été de vérifier que ce n’était pas un cancer et une fois rassuré, son côté pragmatique a immédiatement pris le dessus.
- Ah ! c’est pour ça que tu es aussi bizarre ! Tu as décidé de changer ta vie ? Maintenant ça va faire de grands changements ?
- Je ne sais pas, mais ça me permet de mieux comprendre, de mieux fonctionner avec comment je suis.
- Tu te sens mieux en dedans ? Tu t’es libérée de tes chaines ? (d’un ton hyper taquin)
Ensuite il a lu un peu de mes textes, pour me répondre que le niveau de français était excellent, mais que c’était plein de sentiments et d’émotions là dedans. Je pense que ce n’est pas vraiment de la littérature avec assez d’action et de rebondissements à son goût. Prévisible.
Quelques mois plus tard, il m’en a reparlé pour dire que ça ne changeait rien, que je suis pareille que ce qu’il connait de moi et que comme on est des humains indépendants d’esprit, que ce que je suis moi ne change rien à ce qu’il est lui. Puis il m’a sorti cet exemple d’un goût douteux… que si j’étais une criminelle en prison ce ne serait pas de sa faute. Un côté de moi est tellement contente qu’il soit si peu ébranlable, et un autre côté se dit, mais quelle perception a-t-il vraiment ? En prison ? Vraiment ? Rire…. ou pas.
Puis la semaine dernière, j’entends cette phrase sortie de nulle part :
- Ils devraient faire plus de recherches sur le cerveau, comme ça ils pourraient te guérir.
- Mais je ne serais plus moi ?!
- Mais tu ne le saurais pas, puis tu n’aurais plus tes problèmes.
- Mais les autres ont d’autres problèmes ! Les neurotypiques vivent d’autres défis. Je suis habituée avec les miens, ce sont les miens, j’ai appris à vivre avec et j’en retire même des bénéfices, ma différence augmente ma créativité, ça préserve mon côté authentique au max puis ça ne se guérit pas l’autisme ! Ce n’est pas une maladie. J’essaie d’apprendre à m’aimer comme je suis, ce n’est pas en voulant être une autre que je vais progresser !
- N’empêche, on ne connait rien du cerveau, on ne l’utilise même pas. On devrait faire plus de recherches sur le cerveau, on serait bien plus performant, on ne sait rien. On ne fait rien avec…
- Ça, je te l’accorde, mais on est comme on est, il faut apprendre à travailler avec ça.
- Tu diras ça aux personnes Alzheimer…
- Les gens qui ont ça, ce n’est pas comment ils sont, c’est la destruction de qui ils sont, ça les efface, ce n’est pas pareil, tu me parles d’une maladie, une maladie qui les prive justement d’accéder à eux même. Tu comprends ? Là oui, ce n’est pas une différence, c’est épouvantable. Mais moi ce n’est pas mon cas, je fonctionne différemment. Il n’y a rien qui nous dit que les différences physiques, neurologiques au niveau du cerveau ne sont pas une étape de l’évolution justement, un changement qui cherche ses repères dans comment l’humain changera au cours des siècles….
C’est comme ça que le vit mon grand. Au jour le jour, ça ne change rien dans sa vie, il est tellement pragmatique, mes déficits sociaux et mes lacunes au niveau de la lecture émotionnelle des gens ne lui font pas un pli. Des fois il réfléchit, il se questionne, mais son indépendance fait en sorte que tout ceci ne reste qu’au niveau des données. Il a l’information, il sait que je ne suis pas pareille, mais ça ne semble pas l’affecter. Des fois il ne comprend pas et me dit, tu ne peux pas juste ne pas sentir ça ? Il croit encore que je pourrais couper une partie des infos qui m’attaquent. Comme il a beaucoup de volonté, il pense que par la mienne je pourrais gérer l’afflux des stimuli et ressentis que je ne peux pas bloquer.
Un jour il comprendra, ou pas… mais on a une excellente relation.
Il est clair, il est concis, il ne passe jamais par quarante détours, il ne ment pas, on peut discuter sans que ça devienne chargé émotionnellement. C’est juste bien. C’est un profil facile pour que je puisse communiquer adéquatement. Même s’il ne me comprend pas toujours, ce qui est normal, d’avoir une mère autiste ne le trouble pas outre mesure.
Mon plus petit, mon bébé clown curieux
Copie conforme du papa, lui, il a découvert qu’il était possible de taquiner maman avec tout ça et il en profite allégrement. Je le vois bien réunir tous les indices pour procéder à sa nouvelle blague. Souvent, s’il me voit faire une chose qu’il juge inhabituelle comparée à la norme, il demande, il ne se gêne pas. Tu fais ça parce que t’es asperger ? Puis ensuite, lorsque la situation revient, ça peut prendre des semaines, il saute sur l’occasion pour faire rire en mettant l’accent sur mes incongruités. Et là il est tout fier. Il est heureux, simplement. Je n’ai jamais l’impression qu’il manque de quelque chose. Il fredonne, il saute partout, il me semble évident que je ne l’ai pas rendu malheureux.
Il m’a confié avoir longtemps pensé que j’étais un robot, il me trouvait trop séquentielle, trop étape par étape trop claire dans mes agissements, mes interventions. Comme si j’étais programmée pour faire certaines choses exactement de la même manière organisée dans ma tête. Il trouvait que les autres humains, selon les mots qu’il m’a dit, étaient plus ”mous”. Mous dans leur manière de parler, de bouger, d’agir. Moins saccadés, moins, tac, tac, tac… Il dit que des fois, j’agis comme une machine.
Dernièrement on est allé chez le médecin qui lui a prescrit quelque chose de quatre à six fois par jour. J’ai demandé, c’est quatre, c’est cinq ou c’est six ? C’est un à peu près pour nous dire que si on se trompe c’est pas grave ou… ? Ce n’est pas du tout précis ça. Je note donc sa réponse au dos de la prescription. Le médecin me dit, mais vous n’allez pas le garder ce papier-là, et moi de répondre, de l’écrire sur le papier l’écrit dans ma tête. Ensuite l’infirmière entre, mais ne respecte pas une partie du protocole inscrit sur l’armoire et malgré tous mes efforts, il m’est impossible de ne pas lui faire remarquer, c’est viscéral. Une fois tout ce beau monde parti, j’ai mon fils qui me dit, maman, là t’es vraiment asperger. En bonus, un sourire en coin.
Ce petit poupou me pose plein de questions hyper pertinentes sur le sujet, il s’informe, mais avec une curiosité tellement agréable, c’est tout doux. Puis depuis un bout de temps, il a commencé à me noter des choses sur lesquelles ils considère que je me suis améliorée par rapport à quand il était plus petit, ça me fait tout drôle.
Si on regarde les côtés positifs en démarrant des côtés négatifs…
Je déteste qu’on me touche, je ne peux pas le supporter, ça m’attaque, ça me fait mal, ça me fait paniquer, c’est l’horreur. Ça, c’est très négatif. Pourtant, six personnes peuvent, et mes enfants en font partie. Ils savent donc qu’ils sont spéciaux, qu’ils ont ce lien unique et privilégié qui fait que de les enlacer me fait me sentir étrangement bien. Ça leur donne une valeur supplémentaire, une conscience de la place indiscutable qui occupent dans mon cœur.
Je suis trop directe, je ne sais pas nuancer, des fois et même souvent ça rend mes paroles trop dures et ça c’est négatif. Par contre, je suis si franche qu’ils ont entièrement confiance en moi. Si je ne sais pas, je n’invente pas n’importe quoi, je ne fais pas de promesses en l’air puis ils ont toujours l’heure juste, ils savent que je n’embellis pas. Le fait est le fait, sans plus, sans moins.
Je sors très peu, c’est trop difficile. Sortir dehors au grand air, aucun problème, ce sont les autres lieux fermés qui ne sont pas ma maison qui sont ingérables. Ça, c’est négatif. Mais maman est toujours à la maison sauf pour le club photo et les activités de photos. Même que maman travaille à la maison, c’est très pratique, pas besoin de manger à l’école !
J’ai un paquet de déficits, mais je les connais, je les identifie, je sais ce que je ne sais pas. Je n’improvise pas à tenter de faire n’importe comment dans les domaines dans lesquels je me connais être incompétente. Je me concentre à faire mieux que tout dans ce que je fais bien, j’aime, je donne, je transmets mes valeurs. Puis tout le reste, ce avec quoi je ne sais pas jongler, je le laisse au papa, et si c’est un truc de maman et que le papa ne sait pas le faire, je délègue.