Il m’arrive un truc beau ces temps-ci. Je tente d’être présente lors d’activités de la Société de l’autisme du Saguenay-Lac-Saint-Jean et de la Fondation Jean Allard. Je prends des photos et ensuite je leur partage. Je n’ai pas trop à angoisser pour savoir quoi faire de mon corps et de mes mots car je suis en mission prise d’images. Ça me donne l’impression d’avoir une free-pass dans ce contexte. Je me dis que je n’ai pas besoin de me surveiller autant que d’habitude pour avoir l’air pas pire normale parce qu’ils sont accoutumés aux petits êtres étranges. Donc j’y vais seule, un peu pour tester des choses et pour voir comment je vais réagir. Voici le récit de la dernière escapade.
Préparation mentale du trajet et autres manières de se conditionner à se rendre du point A au point B.
Déjà, conduire me demande une solide préparation mentale. Je dois visualiser la route, explorer sur Google Street View et même là, c’est envahissant. Sur un nouveau chemin, toutes les nouvelles données à traiter en même temps que de contrôler ce gros objet métallique nommé véhicule, c’est lourd.
Donc, comme je devais me rendre au Camping de La-dame-en-terre, lorsque j’ai vu une voiture tirant une tente-roulotte et sembler se diriger au même lieu que moi, je me suis dit, voici un véhicule-élastique au lieu d’un humain-élastique. Enfin ma chance, je vais relaxer en l’imitant simplement. Calibrage en cours sur un modèle à suivre. Après cinq minutes je commençais à me détendre lorsque je le vis emprunter un mauvais chemin. Je savais pertinemment que ce n’était pas la bonne route, mais j’avais commencé à le suivre et je n’ai donc pas pu m’empêcher de l’imiter. C’est niaiseux de même. Le cerveau dit : Mais que fais-tu ??? Et le pilote automatique répond : Je suis calibré sur quelqu’un d’autre. Laisse-moi tranquille.
Note
Difficile, voir même souvent quasi impossible d’arrêter les tâches en cours pour une autiste.
Comble de malheur, la route empruntée par mon élastique-brisé étant un petit rang perdu, il me fallait entrer dans un stationnement privé pour faire demi-tour. Un stationnement passe, deux stationnements passent, encore et encore et j’étais incapable de m’y faufiler. Je me sentais coupable, angoissée à l’idée de déranger, de créer une fausse impression de vous avez un visiteur. Encore ce cœur qui bat à toute vitesse et la sensation d’étranglement… c’est tellement psychosomatique et inutile comme effet physique. Pfff. Je serais curieuse de savoir comment les neurotypiques vivent le geste (se faufiler temporairement dans une entrée qui n’est pas la nôtre sans intention d’y rester)… pas certaine, moi, qu’ils angoissent comme ça. Rire.
Prévoir de faire comme la dernière fois et réaliser que cette belle vision c’était dans mes rêves.
Les premières fois sont toujours les pires, les lieux visités sans les connaitre aussi, parce que je n’ai pas pu voir et imaginer chaque détail et ainsi préparer mon enveloppe corporelle à recevoir les renseignements qui vont m’attaquer dans un nouvel endroit : la disposition potentiellement anarchique, les bruits, les gens, l’ambiance et les odeurs par exemple.
La situation imaginée versus la situation réelle
Vendredi matin à 7h30 je suis venue ici, c’était calme, vaste et peu peuplé. Les choses étaient même disposées de manière presque logique. Je vous annonce officiellement qu’un camping, un dimanche à 14h n’a plus rien à voir avec le lieu original tel qu’enregistré dans mon répertoire de sensations par emplacements. Mayday !!!
À cette vue qui pour moi est apocalyptique, des gens et véhicules cordés comme des sardines, je m’immobilise au milieu de la route avec une décision à prendre. À gauche, trop, mais vraiment trop d’humains, je m’enfuis donc par l’autre côté pour me donner le temps de réfléchir à la situation et de me recalibrer. J’espère me réfugier là pour gagner un cinq minutes de remise à niveau de la gestion du module calme duquel le fusible vient de sauter. Après un gros quinze secondes, je me vois dans l’obligation de faire demi-tour pour éviter de passer par la guérite et de rester coincée. Je me retrouve donc à rouler sur la piste cyclable lors du virage. Saleté de grrr de (…) ! Mais comment j’ai encore fait pour me retrouver dans une situation pareille ?
C’est donc complètement inondée de sueur que je parviens enfin à stationner, ça ne va pas bien du tout. De plus, les cyclistes sont en avance sur l’horaire à cause d’un facteur pluie/froid et j’ai manqué la plupart des arrivées. La pression sonore du groupe m’écrase les tempes et m’étourdit. Je cherche mes connaissances des yeux sans savoir qui est qui. Je suis toute désynchronisée par la situation, spectatrice impuissante et inefficace, j’ai l’impression d’avoir laissé l’enveloppe charnelle sur place pour souffrir à ma place pendant que je tente de maintenir un contact aléatoire avec ma tête.
Ça valait tout de même la peine de rester quand même et de prendre mes images parce qu’une fois la foule vidée de sa densité, je suis doucement retourné dans mon corps. C’est tellement une césure claire pour moi : fonctionnelle versus pas fonctionnelle. Le retour à l’intérieur est inconfortable et soulageant en même temps. Étrange.
C’est tout ou rien. Parler sans pouvoir s’arrêter ou être muette. Un ou l’autre.
Au départ, vendredi, je pouvais communiquer avec les gens individuellement. Il y avait moyen de les isoler pour éviter la motte de monde. Aussi vrai que je peux être complètement muette, si je me sens bien c’est le contraire, je deviens volubile x1000 et très excitée comme une petite fille qui est tombée dans le bol de bonbons. Même que j’ai probablement exagéré parce qu’une personne m’a carrément demandé d’arrêter de lui parler. Je la dérangeais. C’était une humaine sans lien avec l’autisme, et je pense qu’elle ne savait pas à quel point nous pouvons devenir intenses lorsqu’on parle de nos intérêts. hi hi….
Note
Surprise, des autistes Asperger ça peut parler pas mal vite et ce n’est pas arrêtable quand c’est décollé ! Rire.
Elle n’avait pas l’énergie pour suivre mon emballement inextinguible. Au moins, j’ai pu me cacher pour aller pleurer un peu suite à ça. C’est fou comme je suis sensible. Que je n’entende personne dire que les autistes n’ont pas d’émotions.
L’autisme joueur de tours, les apparences sont souvent trompeuses.
Mais dimanche, avec la masse de gens, j’étais pas mal moins volubile. Après avoir pris une photo coup de cœur d’un enfant autiste avec ses parents, je tenais à leur transmettre. J’ai donc rapatrié dans un petit paquet de volonté ce qui me restait de courage pour aborder la maman. Elle me répond : Ah ! Tu es l’amie de Tanya B. ? Et moi, d’un ton que je réalise maintenant très sec, j’ai demandé c’était quoi le lien avec la situation. (C’est quoi le rapport avec ce que je vous dis ?) Je tentais d’attacher les contextes, mais j’ai été froide, limite bête. En fait, je désirais comprendre ce qui réunissait tout ceci ensemble. Elle a tenté de m’expliquer quelque chose, mais c’était tout brouillé, comme des mots dans de la vase, j’ai donc dit de laisser tomber et je me suis sauvée d’elle. Au lieu de nommer mon monstre, j’ai paniqué. Pas fort mon affaire…
Je trouve que l’autisme est traitre lorsqu’il donne l’impression que je puisse être une personne désagréable et bête alors que je tente de poser un geste de gentillesse. C’est sournois, car les perceptions sont biaisées par mon incapacité à transmettre mes ressentis de manière stable. Sans avertissement, je me fais jouer des tours comme ceux-là, et je parle durement aux gens sans le vouloir. Écrire me permet d’expliquer et de désamorcer. Vive mon clavier !
Je ne pense pas que ce soit un échec total parce que vendredi, j’ai aussi attaqué d’un flot de mots ininterrompus le chauffeur d’autobus qui attendait et il a semblé intéressé à écouter de manière assez unilatérale (moi qui parle pratiquement toute seule vitesse grand V). Malgré que… je mentionne ça sans savoir interpréter les expressions faciales. Alors peut-être bien que je dis n’importe quoi… qui sait ? Une chose est certaine, un couple a apprécié ma petite jasette parce que cette semaine ils m’ont invité à un feu chez eux. Youpi. On verra bien ce que ça donne.
Puis j’ai l’intention de recommencer, ça ne peut que me donner de plus en plus de marge de manœuvre de fréquenter des événements en lien avec l’autisme. Je me sens comprise.
Pour les photos de vendredi et de dimanche, soit le départ et l’arrivée du Tour à vélo pour l’autisme, c’est ici.