Pour avoir déterminé qu’une activité serait mauvaise pour moi et en répondant : « C’est trop, je ne peux pas. », on m’a dit que ce n’était qu’une question de volonté. La salle était pleine et je n’ai pas pu effectuer un retour au calme pour répondre adéquatement, donc j’ai immédiatement cessé la discussion et me suis enfermée dans mon mutisme. J’aurais aimé, à cet instant trouver les mots, les bons. En les écrivant aujourd’hui, je crois que je vais me donner la chance de pouvoir un jour, aussi les nommer avec la voix si la situation se présente à nouveau. Et si ça peut servir à d’autres autistes, ce sera un gros bonus.
Le contexte.
Je joue à Magic the gathering et je participe à des tournois. C’est excessivement demandant. Les matchs durent cinquante minutes et ce sont des deux de trois. Certains joueurs terminent plus vite et donc, la fin des matchs, l’entre-deux matchs, devient excessivement bruyante. Je perds alors bien souvent ma capacité à réfléchir. Si nous sommes parmi les derniers adversaires d’un match à ne pas avoir terminé, des spectateurs s’entassent derrière nous et s’agglutinent pour observer. J’ai l’impression qu’on branche un tuyau sur ma tête pour en retirer toute capacité à réfléchir. Je cesse d’être apte à effectuer de simples aditions et une forte envie de me rouler en boule persiste et refuse de disparaitre. Comme si mon corps ne m’appartenait plus, je suis momentanément livrée en pâture à une armée d’insectes bouffeurs de cerveaux autistes. Certains joueurs effectuent même des bruits ou touchent à mes choses.
Mais j’aime ce jeu.
Je peux placer mes belles cartes de jolie manière sur mon tapis. Tout est si droit, si esthétique, mes protèges cartes brillent et mon aire de jeu est merveilleusement ordonnée. Je peux toucher et entendre des dés, les manipuler, les regarder et je me plais à améliorer mes compétences comme joueuse. C’est une activité que je pratique avec mes fils. Elle comporte son lot d’obstacles, mais au final, j’en ressors gagnante. De plus, presque tout le monde est gentil.
Augmenter le défi, ou pas…
J’étais intéressée à participer à un événement à Montréal, mais je devais évaluer si ça demeurait une activité à charge positive ou pas. Pour les Asperger, toute interaction est un défi et les facteurs bouffeurs d’énergie ne sont pas les mêmes que pour la population générale. J’ai donc posé bien des questions à un joueur habitué à ces compétitions. À un moment, il m’a informé que l’ambiance entre les joueurs y est assez mauvaise et que les gens sont même parfois agressifs dans leur attitude.
Je n’ai pas de protection. Je suis nue sous l’agression verbale même minime. Je suis ouverte ou fermée. Si je suis fermée, je n’ai plus la possibilité d’interagir, mais si je suis ouverte, je me place à risque, car la moindre attaque peut me jeter à terre et me détruire pour un bon moment. C’est donc à moi et à moi seule de décider si j’ouvre ou je ferme. Pour moi, la décision était logique, je n’avais pas encore ce qu’il faut pour me défendre contre cette intrusion risquée. Donc j’ai dit que c’était trop pour moi et que ça ne m’était pas possible. Sur ce, mon interlocuteur a prétendu que ce n’était qu’une question de volonté. Il n’a tellement pas raison !
Comparons un peu.
Exemple 1.
Le diabétique peut, s’il le veut, manger du sucre. Personne n’oserait remettre en doute sa décision de gérer adéquatement son alimentation en fonction des capacités de son corps ? Il connait le coût à payer et on le laisse gérer son régime. Il ne manque pas de volonté en refusant le sucre. Au contraire.
Exemple 2.
L’alcoolique sobre peut, s’il le veut, prendre le risque de consommer de l’alcool à nouveau. C’est à lui seul de décider de refuser toute tentation parce qu’il connait son corps. Je méprise ceux qui incitent l’alcoolique à participer à la vie sociale en buvant, en mettant de côté ses résolutions. Certains osent s’en mêler et remettre en cause la décision prise. C’est honteux. Il ne manque pas de volonté en refusant le risque et certaines activités qui pourraient le faire chuter. Au contraire.
Exemple 3.
Le coureur peut, s’il le veut, continuer sa course malgré une blessure. C’est à lui seul de déterminer ce qui est le plus important, cette compétition précise ou le temps supplémentaire nécessaire à son rétablissement. Il ne manque pas de volonté en déclarant forfait. Au contraire. Il aura peut-être préservé son corps pour une prochaine course plus importante pour lui.
L’autiste peut, s’il le veut, se placer volontairement dans une position qui le fera se sentir très mal. Il pourra peut-être affronter avec brio cette situation, mais il devra en payer le prix. C’est à lui, et à lui seul de décider si ça en vaut la peine en mesurant bien les pour et les contre.
Il peut prendre en considération l’opinion des gens qui l’entourent, surtout s’ils sont de bon conseil, mais la décision finale lui appartient et un refus n’est pas synonyme de manque de volonté. Si c’est mesuré, c’est un synonyme de bon jugement.
Je n’ai aucun problème de manque de volonté.
J’ai au contraire, une inébranlable volonté et je maintiens les décisions prises. Quand j’ai accouché, je suis retourné sur les bancs d’école six jours plus tard. J’ai en revanche, un esprit assez pragmatique pour savoir mesurer les conséquences de chaque action et je ne suis pas influençable. J’aime entendre l’opinion des gens qui pensent différemment de moi, mais les données reçues sont alors simplement ajoutées à l’ensemble des autres renseignements que je possède. Jamais on ne me convaincra de poser un geste mauvais pour moi en utilisant le levier de la honte et en me disant que je manque de volonté. Il n’en est juste pas question.
Si je ne vais pas au tournoi à Montréal pour l’instant, c’est que j’ai beaucoup plus à payer qu’à gagner. Je vais utiliser mon énergie, et la réserver pour des choses qui me tiennent plus à cœur, comme essayer d’être une bonne maman. Une mère épuisée mentalement par une charge émotionnelle trop grande causée par un loisir, vous trouvez ça logique vous ? Moi pas. Voilà, c’est dit.