Certains disent que les autistes n’ont pas d’empathie. Il faut les comprendre. Nous restons parfois de marbre devant une douleur, nous ne trouvons pas les bons mots, ne posons pas les bonnes actions et souvent, nous ne considérons pas que la situation qui vous a mené à avoir de la peine justifie que vous en ayez. Mais si vous pensez que nous n’avons pas d’empathie, vous avez tout faux. C’est plutôt que notre compréhension vos émotions n’est pas instinctive. Il n’y a pas de chemin direct, il faut traduire…. comme si notre empathie était différée.
Tout en vous rappelant que je parle en mon nom et que tous les autistes sont différents, je constate que ma manière de percevoir les choses trouve écho chez mes ti-z’amis-autistes, alors je me lance….
Quand j’étais petite, je pensais que j’étais psychopathe.
Je n’avais pas de peine quand les autres en avaient, je ne comprenais même pas pourquoi ils en avaient.
Je n’ai pas eu de peine lorsqu’une petite fille s’est ouvert le crâne avec un marteau, j’ai été envahie et dégoutée par l’odeur du sang, j’ai eu une légère montée d’adrénaline parce que je devais rapidement sortir de la forêt pour avertir un adulte, j’ai craint que nos libertés futures s’en retrouvent réduites, mais jamais je n’ai ressenti quoi que ce soit en lien avec elle. Comme action, j’ai tenté de lui écrire un poème pour avoir l’impression d’être gentille. C’était toujours comme ça.
Je n’aimais personne. Ni moi, ni personne. Aucun attachement, aucun sentiment positif. Les autres pouvaient être amusants, mais la plupart du temps ils étaient irritants. Ils pouvaient être intéressants, mais la plupart du temps ils étaient ennuyants… trop différents de moi, trop incompréhensibles, j’étais la seule de mon espèce et à l’époque, ça m’empêchait de tisser des liens.
Qu’ils se blessent, qu’il subissent une grande perte, qu’ils vivent des drames ou même qu’ils meurent, ça ne me faisait pas un pli. Je savais de manière claire que je n’étais pas normale mais je savais aussi que je devais garder cette information pour moi si je ne voulais pas attirer l’attention.
Plus un récit était horrible, plus il m’intéressait. À l’école primaire, je suis devenue complètement obsédée et fascinée par la Deuxième Guerre mondiale et je lisais tout ce que je pouvais trouver s’y rapportant. Plus c’était sanglant, détaillé, chargé émotionnellement, plus ça me happait. Des enfants torturés, des familles déchirées, des drames humains, j’en voulais toujours plus…
Est-ce que j’étais une mauvaise personne ? Une psychopathe, ou sociopathe ou je sais pas quoi ?
Non. Pas du tout. J’étais une je-n’ai-absolument-pas-compris-pathe… La première fois que j’ai ressenti une empathie, c’était lors d’une annonce à la télévision. J’étais déjà adulte. J’avais des chats à l’époque et la publicité faisait référence au lien maitre-animal. Pourtant je ne croyais même pas aimer mes animaux. Je m’inquiétais de leur sort, mais j’étais incapable de plus. Pourtant, pour la première fois, j’ai ressenti, par le biais d’acteurs jouant grossièrement et exagérément une émotion, un lien, le partage de cette même émotion. C’était un début d’empathie.
Ça m’a revirée de bord, vous n’imaginez pas. C’était tout nouveau et je voulais comprendre cette étrange chose. Je n’étais peut-être pas la sans cœur que je croyais. J’y ai pensé et repensé des semaines durant et j’ai compris. Ça me prend une référence !!! Et il faut que ce soit clair.
Voici la petite formule magique pour me rendre empathique.
Identifier l’émotion.
À la base, je ne savais pas du tout, avant, interpréter les émotions de mes cousins-humains. Je dis cousins parce qu’on partage le même principe au niveau du métabolisme, mais pour le reste du fonctionnement, on repassera. Comment voulez-vous que je réagisse adéquatement si je n’ai aucune idée de ce qui se passe en vous ? Le fait que dans la publicité, les acteurs amplifient l’émotion et soient particulièrement clairs sur leur ressenti, ça m’a permis de m’en rendre compte. C’est déjà ça de gagné. J’avais identifié.
Comparer l’émotion avec une des nôtres.
Bon, si ça c’est fait, mais que je ne comprends pas le pourquoi de l’émotion. Si pour moi ce n’est pas logique parce que je ne l’ai pas vécu, si je n’ai aucun comparatif, ce ne sera pas possible pour moi de ressentir cette émotion, de la partager avec d’autres.
Imaginez, j’ai déjà eu des difficultés énormes pour identifier mes propres émotions de base, j’en ai encore beaucoup pour identifier les émotions croisées et je mélange peur-colère-déception-tristesse-impatience-angoisse… et plus encore. Pour moi c’est toujours cette même et identique sensation très physique de je me sens mal, super mal. Et vous me demandez de comprendre ce qui se passe chez les autres ? Il ne faut pas rêver là. Par contre, si je vis une chose et qu’ensuite une autre personne vit une chose similaire, ça change tout. Donc, encore pour la pub, je pouvais ramener à moi l’émotion simulée par les acteurs parce que j’avais des chats.
Ça a été le déclencheur, ensuite, je me suis mise à «empathiser» si je pouvais identifier l’émotion et la ramener à moi. Étrangement, j’ai commencé par le fait même à m’intéresser à des personnes pour leur personnalité.
Pourquoi la passion pour le sadisme de la Deuxième Guerre mondiale ? Parce que je voulais comprendre… simplement. Et plus c’est gros, plus c’est épouvantable, plus c’est clair. C’est tout. Mais ça, ça m’a pris des années à le comprendre. Je me croyais tellement méchante…
Je connais une jeune Asperger qui attaque les gens qui ont de la peine avec des questions interminables. Tu pleures ? Tu as de la peine ? Tu vas bien ? Elle veut que les gens vivent leur peine devant elle. Si leur chien est mort, elle fera tout pour qu’ils y repensent et ensuite elle les regarde d’un air assoiffé et curieux à l’excès. Je l’ai crue cruelle. Mais oui, elle voulait que les gens se sentent mal. Cette jeune personne voit depuis peu une psychoéducatrice qui l’aide à mieux se comprendre, à mieux fonctionner parmi les autres. Elle lui a fait passer un questionnaire que la jeune fille trouvait bébé dans lequel on lui demandait quelles émotions vivaient les gens. Surprise ! Cette jeune aspie ne sait pas identifier la tristesse. À tous les coups. À toutes les situations vécues, elle nommait colère ou joie ou autre, mais pas la tristesse. C’est pour ça qu’elle harcelait et harcèle encore les gens avec ça, elle veut comprendre. Je me suis tellement trompée, mais j’ai compris son intention.
Je viens de lire ce paragraphe à ma fille, pour avoir son approbation même si elle n’était pas nommée. Elle me dit : ”tu peux le dire que c’est moi ! C’est ok, j’ai envie de m’assumer…” J’ai demandé à l’amoureux son avis et c’est bon. Donc, ma fille aussi est autiste Asperger et de l’être ne me préserve absolument pas des erreurs à son sujet.
Le vécu permet de ramener à soi
J’ai 40 ans, j’ai vécu plein de choses. Alors maintenant, je sais comparer et me mettre à la place des gens. Mon empathie n’est pas seulement devenue présente, elle est devenue exagérément intense. Elle peut me renverser, m’envahir, me faire pleurer ou m’exalter complètement si une personne que j’aime et/ou que je respecte vit quelque chose de laid ou de beau.
Empathie fonctionnelle
Si vous vous pêtez l’orteil, si vous manquez un événement auquel vous teniez, si vous avez honte, si vous avez froid, très très froid, si vous avez peur de ne pas être à la hauteur, si vous brisez votre vêtement favori, je vais être empathique parce que je l’ai vécu. Je vais potentiellement le vivre avec vous, presque autant que vous, surtout si je vous aime.
Empathie non-fonctionnelle
Si votre véhicule prend feu (clin d’œil à Stéphanie), si votre coupe de cheveux est un désastre, si vos enfants décident de commencer à fumer ou si vous avez un dégât d’eau dans votre maison, vous ne pourrez pas me déclencher l’émotion, parce que je ne la comprends pas. Je vais savoir que je suis désolée pour vous, mais intellectuellement seulement. Sans référence, sans l’avoir vécu, il m’est impossible (ou presque) de partager votre peine. Pareil pour vos joies. Je ne suis pas moins gentille, c’est que je n’ai pas de référence me permettant d’être gentille. Pas de comparable, pas d’émotion.
Puis en plus, j’ai un délai. La première fois que je vis une chose, ça peut me prendre des heures, des semaines, ou des mois pour en ressentir l’émotion qui y est attachée. Dans mes tests psychologiques d’enfant, on peut lire des choses comme :
- contrôle émotionnel
- intellectualisation excessive
- possibilité de retarder ses réactions….
Je comprends bien que je les retardais ! Ça prenait une éternité avant que les émotions arrivent correctement à destination. Plus ce que je vivais était gros, plus c’était long. Il fallait que je comprenne ce qui m’arrive. Un jour j’ai eu un choc et des jours plus tard j’ai éclaté d’un rire hystérique. Mes émotions faisaient un peu n’importe quoi…
Pourquoi cet article ? Le vif du sujet. J’ai peur d’être méchante.
Il y a seize jours, une personne de mon entourage est décédée. Depuis des années, nous faisions du camping durant trois mois, du vendredi au dimanche et nous soupions et faisions feu commun avec nos voisins de camping. S’il ne pleuvait pas, et parfois même sous la pluie, nous passions nos grandes soirées de camping devant le feu que nous partagions à trois roulottes. Mon amie magique est dans la troisième roulotte et dans la deuxième ce couple… des gens particulièrement gentils. Nécessairement, nous avons tissé des liens.
Vendredi le 15, j’étais à donner une mini conférence sur l’autisme dans une école secondaire et à la pause, je vois ceci sur mon téléphone. Trois messages de l’amie magique, à la suite… (sans correction)
- Allo peux-tu me telephoner.
- C’est urgent
- Tes où ?
Durant toutes ces années, jamais elle n’avait utilisé le mot urgent. Je me suis mise à trembler comme une feuille. J’ai eu peur pour mes enfants, j’ai eu peur pour elle. Je l’ai appelé et elle pleurait. Jojo est morte. La première chose à laquelle j’ai pensé c’est que j’étais mécontente qu’elle m’ait dit que c’était urgent puisque ce ne l’était pas. Une urgence nécessite une action immédiate. Si je ne peux rien faire, il n’y a pas d’urgence.
J’ai gardé le silence un bout de temps et ensuite… j’ai tenté de l’écoute bienveillante. On doit reformuler ce que les personnes semblent dire en écoute bienveillante. J’ai donc demandé : Tu es triste ? Et elle pleurait… Bon. Je fais quoi ? Elle a continué un peu et ensuite elle m’a demandé si moi j’allais être correcte. Mais pourquoi elle me demandait ça, pourquoi je ne serais pas correcte ? Oui, c’est certain que j’étais correcte, je ne savais même pas pourquoi elle pleurait, pour moi, c’était le vide intersidéral dans mon cœur et ma tête. Non seulement j’étais irritée pour le mot urgent, mais je n’avais aucune espèce d’idée de ce que je pouvais ressentir. Je n’ai même pas pensé à demander la raison du décès. Lorsque j’ai réalisé que le conjoint de la dame était à côté, je lui ai dis : Je suis désolée. Je sais que je suis désolée, j’en suis certaine. Je m’entends dire ça, l’intellectualiser de la sorte et je réalise comme c’est nul. J’ai voulu réparer alors je lui ai dis que c’était bien dans le fond parce qu’au moins il avait de bons souvenirs vu qu’eux ils s’aimaient pour vrai et étaient très proches contrairement à la plupart des gens que je rencontre…
Je suis un désastre…
Je suis sortie de l’école en culpabilisant. Pourquoi je ne sens rien ? Ça ne va pas recommencer ? Je ne vais pas encore devenir la personne vide qui ne sentait rien ? C’est quoi mon problème ? Je suis arrivée chez moi et bang, je suis tombée malade, mais les émotions ? Nada. Je me suis fâchée solide contre l’amoureux pour une niaiserie et à mon retour il a dit qu’il ne comprenait pas ce qui était arrivé, qu’il était mal là-dedans parce que je ne fais jamais ça m’emporter comme ça… J’ai dit que c’était effectivement nouveau et que je n’avais pas l’intention de recommencer.
Ma fille m’a accusée de lui avoir annoncé la nouvelle comme si j’étais un robot sans cœur, elle a dit que je n’avais aucune émotion et que je ne comprenais rien et elle a pleuré durant deux semaines. Elle a été fâchée contre moi plusieurs jours. Elle aimait particulièrement cette personne. Je n’ai même pas esquivé un début de je te console… Je ne sais pas pourquoi, j’étais sur le pilote automatique. Je ne sais pas comment on doit agir envers quelqu’un de très triste. Elle va peut-être enfin comprendre la peine des autres. Dommage qu’il soit obligatoire de la vivre.
Ça a duré des jours comme ça. Ensuite, on m’a demandé d’envoyer des photos de Jojo, j’en avais des belles. Je me sentais enfin utile, moins pas bonne. J’ai mis le dossier sur mon bureau d’ordi et j’ai vu ses photos tous les jours… Des jours, vraiment des jours plus tard, j’ai commencé à penser pas mal à son conjoint, au fait qu’il était seul, je me demandais ce qu’il faisait. Je me demandais comment il se sentait, mais je n’en avais aucune idée et ça n’arrêtait pas de tourner dans ma tête, je tentais de visualiser sa situation.
Puis le 2 février, c’était les funérailles, une demi-heure avant de partir je me suis mise à m’obstiner avec l’amoureux, mais pour des raisons totalement absurdes. Il a dit qu’il ne comprenait rien jusqu’à ce que je me mette à pleurer, mais sans pouvoir arrêter… alors il a demandé si c’était à cause de Jojo… et il a semblé surpris mais un peu soulagé. Il n’était pas fâché et lorsque lui m’a demandé si j’allais être correcte, cette fois j’ai dit que non.
Ça m’aura pris 15 jours.
15 jours à réagir n’importe comment, à ne reconnaitre aucun sentiment, à me croire méchante, insensible, cruelle, sans cœur… 15 jours à être malade pour rien, 15 jours à avoir les nerfs à fleur de peau, 15 jours à chercher le trouble et à vouloir m’obstiner sans raison, 15 jours à être négative et 15 jours à ne pas réaliser que peut-être, quelque part, dans le fond, j’avais de la peine. 15 jours avant d’avoir un début d’empathie pour ceux qui ont perdu un être cher.
Mais là les valves venaient de s’ouvrir, et ça, je connais, c’est pas bon. Si je laisse le portail ouvert, ça peut m’emporter loin, crises de panique, effondrement émotionnel, impossibilité de parler, perte de certaines capacités (les maths par exemple), et je ne pouvais pas me le permettre, nous nous rendions aux funérailles. Mais je n’ai pas réussi à refermer complètement alors lorsque je suis entrée dans la salle, la douleur des gens m’a traversée fois miles, leurs émotions étaient un torrent me charcutant, mais mon problème, c’est que je ne pouvais pas le montrer, je devais rester de marbre sinon j’allais me noyer dans une peine trop spectaculaire et visible. Ce n’est pas mon mal ce soir-là qui prévalait. Pas question que je me donne en spectacle. La décence était de me contrôler. J’ai donc fait entrer mes ongles dans mon bras toute la soirée pour créer des distractions-interférences aux chemins/messages émotionnels.
Je n’ai pas su consoler mon amie, surtout que je ne touche pas. Elle aurait eu besoin d’un câlin, je n’étais pas capable. Je me déteste parfois pour ça. Je lui ai même fait des reproches… c’est tellement inapproprié. Pourquoi j’ai fait ça ? J’ai dit à l’amoureux de s’occuper de notre fille que je n’étais plus capable. Quand il a mentionné qu’elle ne faisait rien de mal j’ai expliqué qu’elle n’arrêtait pas d’avoir de la peine et de me regarder et que je n’étais plus capable. Il a dit : Oh toi… J’ai dit : Je sais.
Je suis un peu contente d’être bouleversée enfin parce que ça veut dire que je ne suis pas une sale sans cœur, mais j’ai quand même énormément de difficulté à comprendre. Cette empathie différée peut tellement induire en erreur… Pourquoi tant de temps pour avoir de la peine ? Pourquoi ça doit absolument être compris et visualisé ? Ce sont les photos de la dame et le fait que je prenne bien le temps durant plusieurs jours d’imaginer les moindres détails de ce que ça peut représenter au quotidien pour son mari qui m’ont aidé, il fallait que je le visualise, que je le comprenne…
À cause de ça je n’ai pas su consoler les gens qui en avaient besoin, à cause de ça je me suis fâchée deux fois contre l’amoureux et j’ai passé deux semaines à douter du fait que j’étais devenu enfin une personne gentille… je me déculpabilise en ayant fait imprimer de belles photos en souvenir pour les proches et tout à l’heure je vais rendre un service technique (un truc d’ordi) au principal touché par la peine. Il faut que je fasse ça correctement.
Si une personne autiste de votre entourage met du temps à vous comprendre, ou à réagir, ou si elle le fait n’importe comment, ce n’est pas de la méchanceté. Prenez le temps, au pire, d’expliquer la base de vos ressentis…. et laissez-lui beaucoup plus de temps que la norme pour vous comprendre. Une fois que l’on comprend, on comprend très fort. Très.