J’ai pris mon élan pour atterrir sur un morceau d’engrenage. Il est instable mais ça n’affecte pas sa détermination à me faire avancer. J’ai inséré la tête dans le mécanisme du désir de me sentir mieux. Pour ce faire, je dois accepter d’être broyée par les milles dents du rouage afin d’atterrir au fil d’arrivée de l’immense machine sur de nouveaux pieds. Traduction. Je tente de rencontrer une nouvelle psychologue pour apprivoiser cette impitoyable angoisse. Ce stress irrationnel qui prend trop de place, je désire viscéralement le détruire. Si j’avais un ennemi visible, des problèmes concrets, je pourrais m’y attaquer mais ce n’est pas le cas. C’est insidieux, sans logique et ça me freine.
Préparation mentale
Me voilà donc en train de me préparer mentalement à l’idée de déposer mes entrailles sur la table de la psychologue numéro deux. Je ne lui ferai pas l’honneur de me visiter l’intérieur si facilement. Je n’essaierai pas trois fois avec celle là. Si je ne la sens pas authentique, je passe à la suivante. Bien entendu, je fais ma mini (pas si petite que ça) recherche à son sujet. Les morceaux assemblés me donnent l’impression d’une personne pas trop compliqué qui ne tente pas de tout maîtriser (insérez ici un bref hommage à Google, tant apprécié des curieux et des suspicieux). C’est déjà ça de gagné, elle ne semble pas être un roc de froideur. Si elle ne me donne pas le bon exemple, comment voulez-vous que je puisse entretenir une conversation décente avec elle. J’appréhende le moment, la dernière fois ayant été particulièrement frustrante.
Il fait une chaleur improbable pour un mois de novembre, mais j’ai quand même l’impression que pour me sentir plus solidement protégée, je dois enfiler ma tuque et mes mitaines. L’air joyeux du bonnet m’offrira une protection supplémentaire. Déterminée, je gravis l’escalier de dix-sept marches, j’effectue le petit tapement supplémentaire du pied rejoignant l’autre afin d’avoir un dix-huitième et plus confortable impact sous ma semelle, comme si ça me rapatriait, toute complète sur le palier. J’entre. Attente….
Et là elle arrive. Oh mon dieu, c’est une géante. Elle est juste trop, vraiment grande ! De plus, elle porte des talons, mais pourquoi ? Tant mieux si ça l’amuse mais je suis tout de même déstabilisée. Malgré ma taille moyenne, je me sens tout à coup très petite, vivement qu’elle soit assise. Elle me fait entrer dans le bureau et je ne sais pas quoi faire. Je fige, je fais quoi ? L’espace est bizarrement réparti, désordonnée, aléatoire ? Elle dit : « D’habitude les gens déposent leurs choses là. » Elle pointe une chaise que j’évalue mal conçue. Ok. Il me semble que mes objets seront loin de moi, mais je vais m’endurer. Je récupère rapidement ma gourde d’eau qui m’abreuvera avec empressement tout au long de la rencontre.
Interrogatoire
Je ne déteste pas sa manière d’être. Il y a bien entendu plusieurs petits aspects prévisibles. Par contre, dans l’ensemble, elle ne tente pas la perfection, elle ne fait pas traverser à chaque mot un océan d’eau de Javel et ne tente pas d’obtenir de certification ISO avant de laisser s’extraire une phrase. Elle est incertaine un instant sur une question que je lui pose parce que normalement elle ne doit pas parler d’elle; je vois l’hésitation clignoter. Rapidement, elle juge que ce n’est rien de trop intense et elle accepte de répondre non sans mentionner que normalement ce n’est pas censé influencer son travail. Peut-être, sauf que si elle n’avait pas donné suite, je n’aurais pas eu confiance. Elle n’a pas à s’inquiéter, je ne suis pas une maniaque à la recherche de détails croustillants, seulement, j’ai besoin de valider son bon jugement et il faut que je la comprenne un peu. Sa flexibilité me donne plutôt confiance, je n’aurai pas l’impression de tergiverser avec un mensonge géant. Je suis honnête, souvent (lire tout le temps) trop. Le livre ouvert que je suis ne supporte pas les cachettes. Clarté, intégrité, exactitude, pas de non-dits et de trucs louches à deviner. Bien. Bonus, je crois qu’elle est peut-être sympathique. Pas molle, non, mais juste assez gentille. Elle me donne une bonne impression.
Mes oreilles acceptent donc de laisser passer les informations qui sortent de sa bouche pour les transférer vers mon cerveau. En cas de non confiance, le ramassis de sons produits aurait pu cogner à la porte de mon être, il n’y aurait eu aucune réponse de ma part. Voilà donc qu’elle m’explique un peu sa façon d’aborder la thérapie. Selon elle, mon corps n’est pas au courant de ce que je pense. Ah ? Ok… On élabore ? Elle me sert quelques petits : « L’as-tu dit à ton corps ? », ce que je trouve un peu bizarre.
Le corps rebelle
Mais si j’y repense bien, mon corps et moi, je crois que l’on ignore presque l’existence l’un de l’autre. Il est là à me lancer des signaux tout de travers à longueur de journée et moi je le martyrise pour bien le dresser à m’écouter. Somme toute, nous sommes ouvertement en conflit armé depuis longtemps.
Ce corps est incapable d’attraper un ballon, il ne sait pas transmettre les informations motrices correctement, il lance de l’eau par les yeux au moindre désagrément, il vibre de tremblements et a peur de n’importe quoi. Je ne l’aime pas trop cet organisme exagérément sensible. Il n’est pas fiable au niveau émotionnel, en plus d’être malhabile et imprévisible, donc je préfère ne pas trop y penser. Le fait qu’elle semble avoir envie de servir de médiatrice entre moi et l’enveloppe qui me sert à me manifester physiquement ne me semble pas nécessairement une si mauvaise idée. C’est pourquoi je vais tenter ma chance avec sa vision des choses. Je vais entreprendre de faire confiance.
Ce beau paragraphe philosophique donne l’impression que je reviens chez moi sereine et avec l’envie de fredonner ? Pas vraiment. Ça s’est bien déroulé mais je panique totalement. Comme je sais que j’accepte de me livrer au processus de dissection j’ai peur comme pas possible. De plus elle m’a prévenue que pour être moins stressée, je devrai probablement traverser une phase pire, est-ce que j’en ai conscience ? Oui, oui, je m’en doutais pas mal, gentil de me prévenir, mais ça résume assez bien mes appréhensions. Complètement dans ma tête, l’esprit obnubilé par la rencontre… je perds mon temps à réfléchir. J’hésite presque à l’écrire, mais qui ne vois-je pas arriver à la maison ? Mon fils le plus jeune ! Oh non, catastrophe, je l’ai oublié à son sport. Je devais aller le chercher à 7 h et il est 7 h 35. Culpabilité, découragement de moi, je m’empresse de contacter le parent qui l’a gentiment ramené et je réalise encore une fois, avec plus de clarté que jamais, que mon angoisse me fait faire des stupidités en série. Raison de plus pour continuer avec cette psychologue… Bon courage !