Driiing ! Driiing !
- Le client : Bonjour tu as cinq minutes ?
- Moi : Oui, oui, je t’écoute.
- Le client : Ok, je t’envoie une photo, va l’ouvrir.
- Moi : Oh, c’est une photo de chandail. Pourquoi est-ce que tu m’envoies un chandail ?
- Le client : Ben non ! Je ne t’ai pas envoyé un chandail ! Comment ça un chandail ?
- Moi : Oh, excuse-moi, je crois que j’ai eu un problème, attends je réessaye… Non, non, j’ai copié-collé ton lien et c’est toujours un chandail.
- Le client impatient : Ben voyons ! Ça n’a pas de rapport, je t’envoie les photos pour les personnages du site web de physiothérapie !!!
- Moi : Oups, il y a un humain dans le chandail (en fait un humain de la tête aux pieds au complet), je ne l’avais pas vu. Et je le connais en plus, c’est le fils du client….
- Le client éberlué … : Hein ?
Des fois c’est rigolo, mais vraiment pas tout le temps
Ce qu’il faut comprendre ici, c’est qu’on voit les détails avant la vue d’ensemble. Certains disent des autistes qu’ils voient l’aiguille avant la botte de foin et je suis bien d’accord. C’est comme ça que je fonctionne et une fois que l’on comprend, on peut arrêter de culpabiliser à chaque fois que l’on passe à côté du sujet commun pour focaliser sur notre vision.
En être conscient c’est bien. Ne pas l’accepter… mauvaise idée
Je dis ça, mais j’ai l’impression de faire exactement le contraire. Je suis fâchée. Fâchée contre moi, fâchée de ne pas toujours avoir la vue du contexte, fâchée d’analyser en décalé, fâchée de tout comprendre, mais seulement quand c’est fini et que tout le monde est parti.
Des fois c’est drôle, ou anecdotique, comme si mon client se demande à quel carburant étrange je roule et sans plus, mais dès que les émotions embarquent, cette vision unique d’un seul élément sans prendre le contexte en considération, ça peut causer des dommages. Parfois je fais de la peine aux gens à cause de ça et ensuite je m’en veux terriblement, mais la seule manière de contrer cet effet c’est de me taire comme je le faisais avant.
Mais là, je me permets trop souvent de parler et ce n’est pas toujours une bonne idée. Je teste, je tente, j’essaie et je note les erreurs. Puis il y en a beaucoup… Cette semaine j’ai fait de la peine à quelqu’un. Fort. Parce que j’ai vu le détail et ce détail a détruit le reste de l’information autour. Et j’étais tant focalisée sur ce minuscule bout de phrase que le contexte s’est évanoui pour ne laisser place qu’à mon incompréhension et ma peine. La manifestation de celle-ci a causé une véritable onde de choc.
Résultat, une personne proche de moi est si bouleversée qu’elle refuse même de me parler. Je ne peux rien faire sauf m’en rappeler. S’il y a trop de gens, trop de bruit, trop de stress puis qu’une émotion se présente, je dois me taire. Je sais, j’ai compris.
Maintenant je vais changer de sujet parce que ça me provoque un trop gros chagrin.
Récupérer les indices là où ils se trouvent
Contexte, activité du club photo. Nous avions des petites missions à faire et donc, nous étions éparpillés un peu partout dehors et très peu d’entre nous se trouvaient à l’intérieur. Moins de monde, moins de bruit, moins de stress, moins de tout. C’est dans ces moments que je lève mes protections un peu, de toute manière, ils sont tellement gentils avec moi au club photos que je considère que le risque commence à devenir quasi nul que je me déconstruise ou autre.
Tout à coup je vois des chaussures. Des chaussures qui avancent, mais ne plient pas. Je regarde, ce sont des semelles d’apparence plutôt molles, comment ça se fait alors que la courbe ne s’effectue pas lorsque la jambe entame son mouvement d’appui ? Puis comme je suis totalement hypnotisée par les étranges pieds ça sort tout seul : Pourquoi vos chaussures ne plient pas, se sont des chaussures qui plient ça, non ? L’homme est surpris et ne se tarit pas sur mon sens de l’observation et m’explique que ses pieds ont une différence, mais que personne ne la voit. Pendant un instant je suis toute contente et je me dis, youpi ! ma manière de fonctionner a un point positif, je vois les détails invisibles aux autres. Durant que pleuvent les éloges, une autre personne commente et mentionne : Moi aussi je l’avais vu, mais je ne l’aurais jamais dit.
Mon amie me dit alors que je l’ai impressionné, mais l’info que je lis c’est que j’ai juste été impolie en fait. Alors, qu’est-ce qu’on décide ? Je suis une super aspie observatrice ou je ne sais pas ce qui se dit ou pas ? Ce n’est pas clair. La seule chose évidente c’est que je ne sais toujours pas à quoi cet homme ressemble, mais je reconnais ses pieds et sa voix. On a un début que quelque chose là…
Identités, détails et reconnaissance de qui est qui
On sait déjà que j’ai une légère prosopagnosie alors c’est une difficulté énorme pour moi de reconnaitre les visages. Donc c’est avec les détails que j’identifie les gens. Pour une dame ce sont ses lunettes, pour une autre, sa démarche, pour cet homme, ce sera dorénavant ses pieds et l’indice le plus utile, ça demeure la tonalité. Mais tout ceci me joue des tours.
Chez une femme que je connais, j’avais identifié la coupe de cheveux, la démarche et la posture… puis ça ne fonctionnait pas trop mal tant qu’elle était dans le bon contexte accompagnée des bonnes personnes. Mais un jour sa fille s’est retrouvée dans le même lieu. J’ai donc cru que c’était la même personne et j’étais un peu surprise qu’elle fréquente un jeune homme d’environ 18 ans considérant son âge. Je n’ai jamais remarqué que c’était la version début de l’âge adulte de la dame. Pour moi, elles étaient une seule et même personne. La mère et sa fille. Bien entendu, quand mon conjoint mort de rire m’a expliqué ma bévue, j’ai constaté les marques du temps, mais la vue d’ensemble, ça m’échappe totalement à moins que je prenne consciemment la mesure des informations et que je mette l’effort.
T’es qui toi ?
J’ai croisé ma belle sœur au magasin en achetant un chandail à mon fils. Elle était à l’intérieur d’une cabine la porte ouverte lorsqu’elle a nommé mon nom en m’appelant. Mais étant donné l’écho de la cabine qui a altéré légèrement sa voix, et le fait que je ne savais pas qu’elle serait là, et aussi parce qu’être dans les lieux publics ça m’angoisse comme pas possible, je ne l’ai pas reconnue. C’est qui elle ? Pas fort, pas fort…
Mes lunettes bleues
Mais je les aime les petits détails, le fragment que personne n’a vu et qui va avaler toute mon attention, les simples choses qui me semblent magnifiques parce que je m’attarde à regarder là ou personne ne pose les yeux. J’aime bien me laisser engloutir par un coin entre deux tuiles et d’autant plus si un motif est rond ou répétitif, j’aime fixer ce point, celui qui se tient entre tous les autres pareils à lui, mais qui devient si lent et profond à mon regard. C’est une mer dans une goutte, un univers dans chaque minuscule interstice.
J’ai accès à un beau monde tout magique et je peux m’extasier devant une minutieuse ligne qu’a formée un poil d’encre tout comme un pixel de décalage peut m’obséder à m’en rendre complètement en panique, mais pourquoi pas ? J’ai mes lunettes à moi. Elles sont loin d’être toujours pratiques, mais ce sont les miennes.