Je suis tension. Ce n’est pas compliqué, le stress incarné c’est moi. Les « Chérie ! Calme-toi !!! » n’y changent rien. Je suis la reine de l’anxiété, la championne du mode panique et la référence en agitation. Mais… parce que oui, il y a un mais, avec le diagnostic, je me suis enfin donné la permission d’utiliser les outils à ma disposition. Et ici, le mot outil n’est pas seulement choisi pour illustrer mon propos, c’est aussi applicable au sens littéral.
Les pinces magiques
C’est au camping que j’ai découvert cette magie. J’étais assise à la table de pique-nique en plein bain social et comme d’habitude, bien que c’était des gens agréables, ça m’affectait. Les épaules remontées, les jambes toutes raides, le ventre noué je sentais mon corps se contracter de plus en plus. Tout à coup j’aperçus une paire de pinces en plastique, de celles dont on se sert pour retenir les bâches. Et sans réfléchir, discrètement, sous la table, je l’accroche à ma main, ensuite à mon poignet, mon bras, et plus tard au côté de mon soulier. À décrire, je dirais que ça a produit comme un grand psssshhhhh, le relâchement du presto ou l’air sous pression qui sort d’un ballon. Une libération immédiate d’une soupape désespérée. Le pouvoir de la pince ! Oh, mais wow !, mais qu’est-ce que c’est ?
Mon amie (professeure auprès des enfants autistes) m’expliquera par la suite qu’il s’agit en fait d’une collation sensorielle. J’avais l’impression d’avoir découvert le fabuleux code d’accès vers un monde pétillant, mais malheureusement (ou pas), l’effet euphorisant ne dure pas plus d’une quinzaine de minutes. Ensuite il vaut mieux arrêter. Par contre, la détente que cela procure a une pérennité dans le temps. Vendredi dernier, autour du feu, n’arrivant absolument pas à me sentir présente, toujours en bataille dans mon corps et dans ma tête, je ne parvenais pas à m’endurer. Comme une impression de me débattre dans mon enveloppe de corps tellement désagréable. Mon amie me dit : « Les pinces ! » Immédiatement le résultat positif se produisit et je devins ensuite plus disponible aux autres. Incroyable.
Lorsque vous apercevez un autiste se balancer, c’est le même principe, ça lui fait du bien, mais je ne m’étendrai pas sur ce sujet parce que je ne suis pas vestibulaire, je suis dans le clan des proprioceptifs (blague). Ce n’est pas si différent, c’est simplement que moi je n’ai pas envie d’osciller ou de tourner, mon besoin est tout autre, j’ai cette nécessité de pressions profondes. Mais ceux qui se bercent, c’est important pour eux…
Écraser ma main entre le sommier et le bord du lit, compresser mes jambes, déposer un poids de plusieurs couvertures très lourdes sur mon corps, ça c’est un cadeau au cerveau. Même les objets étrangement lourds me procurent un certain plaisir, un verre plus pesant que la norme dans mes mains par exemple. C’est inexplicable, ça me réconforte. Je ne fais pas confiance aux choses trop légères, c’est presque ça…. comme une perpétuelle impression que je vais m’envoler, et ce, contre ma volonté. J’ai toujours ce sentiment que mes pieds ne sont pas correctement ancrés au sol et petite, je refusais de mettre mon gilet de flottaison sous la pluie, je croyais que j’allais prendre le chemin vers le ciel et que les gouttes m’emporteraient vers un vol incertain.
En contrepartie, je ne peux supporter l’effleurement, comme si le seul bien-être que je puisse atteindre ne se trouvait que très profond sous l’épiderme, et que toute ma surface externe n’était garnie que de sales petits et méchants récepteurs à affolement. Mon amoureux, lorsqu’il veut me faire bondir au plafond, s’amuse parfois à doucement glisser son index sur mon avant-bras. Dès cet instant, je sursaute d’agitation et je dois me gratter frénétiquement le bras pour retirer cette sensation qui me laisse en plein désarroi. Par contre une brosse, bien piquante, je peux grafigner ma peau avec et j’ai l’impression de me faire éplucher. Presque comme si la seule donnée cutanée que je supporte doit s’approcher de la douleur. Non, non, je ne suis pas maso, mais le cerveau refuse obstinément de traiter positivement les touchés légers. La machine qui prend la pression à l’hôpital, si j’en avais une chez moi je serais vite accro. Accompagnée d’un petit bruit rythmé, elle nous compresse, compresse, compresse et nous relâche dans une danse prévisible. Quel bonheur.
Voilà pourquoi, samedi, mon amie m’a conduit au Canadian Tire* et j’ai trouvé, en solde, tenez vous bien, un immense sac de mes pinces favorites, de toutes les tailles pour seulement 14 $. Je vais pouvoir cesser d’emprunter les attaches de mon voisin de camping, j’ai les miennes, et elles ne sont pas jaunes et noires comme les siennes, non, elles ont du bleu. Comme une enfant qui a reçu le jouet tant espéré, en le saisissant j’ai fait des ohhhh et des ahhhh et quelques ouuuui ! Youpi. J’ai refusé de déposer le sac dans le panier. Je l’ai serré contre moi tout le chemin jusqu’à la caisse avec un sourire fendu jusqu’aux oreilles. Joie.
* Canadian Tire est un magasin à grande surface dans lequel on retrouve entre autre, des outils.