La peur ne laisse filtrer que le plus sombre de moi. Lorsque j’ai peur, je suis détestable (il parait). Je dis souvent que pour me fâcher il y a deux manières pour y parvenir, me faire peur ou me mentir. Je suis toute douce en temps normal, et respectueuse aussi, mais la crainte, le danger et l’imprudence me transforment en monstrueuse chialeuse* rigide et entêtée. C’est viscéral, je me ferme dans une idée fixe et le reste s’embrouille. Soit je panique, soit j’insiste et j’insiste jusqu’à en devenir harcelante.
En voiture j’ai peur, je suis terrorisée. J’ai peur de la vitesse, des imprévus, des autres véhicules, des bruits, des conditions atmosphériques, de l’aquaplanage, des crevaisons, des roulières, des chargements instables, de l’aspiration des camions, du temps qu’ils mettent à freiner, des changements de voie, des angles morts, de l’aveuglement, de tout. Je deviens paranoïaque et désagréable comme passagère. Par contre, il y a cette chose, cette merveille nommée Le code de la route. Mais quel ami rassurant ! Donnez-moi des règles à suivre, une manière d’agir avec laquelle ma conscience et mon jugement sont en accord et je vais m’y accrocher jusque dans les moindres détails. Ce code, avant mon examen théorique, je l’ai appris par cœur, tellement que j’ai répondu aux questions si rapidement dans l’ordinateur que la dame au comptoir m’a demandé pourquoi j’avais abandonné; elle n’avait jamais vu quelqu’un le terminer à cette vitesse et pas besoin de vous dire que j’ai eu une note exceptionnelle. Pourquoi ? Parce que j’y crois et que ça me rassure. C’est bien, ça fait de moi une conductrice respectueuse et fiable. L’autre côté de la médaille c’est que je deviens insupportable et obtuse face au respect de la loi. Probablement encore plus que les représentants de la loi eux-mêmes.
En fin de semaine on devait prendre un taxi, et moi je veux qu’on s’attache… Mais ouuuui, je sais, ce n’est pas obligatoire la ceinture de sécurité dans un taxi, mais je pense que c’est parce que ce serait inapplicable. Imaginez le chauffeur tentant de convaincre une personne en boisson de s’attacher, bonne chance. Je crois donc qu’il y a une sorte d’entorse à la loi pour choisir un moindre mal. Ma devise, ma grande devise dans ma vie, c’est que je ne veux pas avoir à dire : « J’aurais dû ». Ou en québécois « J’aurais dont dû ». Bref, il n’est pas question que je vive avec des regrets et j’ai un outil à ma portée, la ceinture (410 fils de polyester tissés formant une sangle de 50 millimètres de largeur***). Alors au moment de partir, deux passagers n’étant pas encore attachés je maintiens ma porte ouverte.
La chauffeuse commence à fulminer et moi je refuse de fermer ma porte, car les personnes n’arrivent pas à trouver leurs ceintures respectives. Et elle me lance un de ses sales regards d’impatience exaspérée et là je ne suis pas, mais vraiment pas contente. Je lui dis que ce n’est probablement même pas légal que ce soit si difficile, je commence à être très rigide et j’insiste beaucoup, ma voix devient plus aiguë et grinçante. Mon conjoint me fait un signe, parle sans le son (mais je lis un peu sur les lèvres), alors il sait que je vais comprendre, il dit donc en silence : « Arrête, t’es rushante**! « . Je sais qu’il tente de me prévenir en me chuchotant ces mots, pour que je cesse…, mais ça me va droit au cœur et me blesse.
Je trouve la situation tellement stupide. On a une chose pour nous protéger, pour éviter le pire et on ne s’en sert même pas, c’est tellement un futur schéma de regrets !!! Comment je pourrais vivre moi avec cette idée, de savoir que j’aurais pu faire une différence, mais que je ne l’ai pas fait… Impossible. Je me suis disputée plusieurs fois avec des gens à ce sujet, cette sécurité. Mon amoureux me mentionnera plus tard que je coupe parfois des liens par cette attitude de fermeture lorsque j’ai peur. Il dit que je dois apprendre à lâcher prise. J’aimerais sincèrement suivre son conseil, mais c’est tellement intense, ça devient la seule priorité, la seule possibilité, la seule option, tout le reste prend le bord et je suis aveugle quant aux autres conséquences (mésententes avec les gens). J’ai cette rigidité comportementale typique au syndrome d’Asperger et ajoutée à la peur, elle devient exponentielle. Je peux tout mettre en péril pour le respect d’un ensemble de règles que je juge adéquates.
Intermède. Ceci m’a nui énormément par rapport à l’alimentation de mon premier enfant. Je voulais tant suivre à la lettre les recommandations du livre d’instructions de comment élever un enfant, que mon fils avait toujours faim et je n’assouvissais pas son besoin, puisqu’au lieu de me fier à mon instinct, je copiais à la lettre la quantité exacte et les heures auxquelles le nourrir comme s’il n’y avait qu’une seule vérité. Après une longue bataille contre moi, j’ai fini par comprendre (avec l’aide de mon conjoint).
Quand il y a moyen de moyenner****
Mon amie devait passer un après-midi en voiture avec moi récemment, et bravo à sa belle intelligence émotionnelle, elle m’a confié son téléphone et m’a demandé de lui préparer une liste de lecture sur Deezer à mon nom. Je devais donc, avec mon téléphone dans la main droite pour m’inspirer, ajouter des titres dans la main gauche en les cherchant préalablement dans l’application. Elle sait combien la musique m’apaise et que les bidules électroniques m’amusent, elle a donc subtilement utilisé tout ça pour avoir la paix de mes multiples Attention ! Fais pas ça ! Ahhhh ! As-tu vu ? Etc, etc…. durant le trajet. Trente secondes, Internet a failli, et immédiatement j’ai recommencé avec un : « Attention, il y a un arrêt ! » qu’elle avait très bien vu. Il n’y avait pas la nécessitée de recevoir mes commentaires de Miss panique. Fine stratège que cette amie, au lieu de me faire lutter contre ma nature profonde, elle l’a subtilement distraite…
* En Europe, chialer signifie pleurer, au Québec, chialer veut surtout dire se plaindre, critiquer ou maugréer.
** Paniquante, énervante, stressante.
*** saaq.gouv.qc.ca
**** Trouver une solution malgré certaines difficultés.