La musique est le plus cher de tous les bruits. – Théophile Gautier
Un jour, une enfant m’a prêté son baladeur à cassette avec les écouteurs en mousse orange pour un instant. Elle a posé le casque sur mes oreilles et c’est arrivé. Je m’en souviens comme si c’était hier. Nous étions dans une rue froide, en béton, sans âme, et soudain elle est devenue tellement longue et belle, comme si elle s’était mise à onduler. J’ai levé les yeux, et même le lampadaire à mes côtés m’est apparu comme une œuvre d’art d’une extraordinaire beauté. Transportée, tout ce qui m’entourait devenait coloré de splendeur. Les infimes détails de la composition, chaque choix d’ajouter ou non un son ici et là et parfois des petits silences, je percevais et comprenais les moindres subtilités. Mon aspie-âme venait d’être allumée par d’innombrables lumières.
Bulle opaque de son guérisseur
La musique en soi n’était pas une nouveauté. Mais elle devait faire son chemin à travers le reste de l’univers pour m’atteindre. Les autres stimuli, dérangeants, m’empêchaient de la savourer à sa juste valeur. Elle ne pouvait pas être entière, unique et omniprésente. Avec des écouteurs, le mal s’éteignait pour laisser toute la place à la magnificence des notes. Je pouvais les respirer comme jamais. Chaque parcelle de mon cerveau entrait en transe, j’avais enfin le pouvoir merveilleux et puissant de mettre l’envahissante civilisation à pause et de me centrer uniquement sur le ressenti du moment.
À partir de ce jour, chaque petit sou d’enfant durement gagné fut consacré à retrouver ce bonheur (ou à acheter des bonbons, mais là n’est pas le sujet). Avec mon petit 2$/heure en gardant des enfants j’ai pu me procurer le merveilleux et plus beau baladeur de chez Distribution aux consommateurs. Suivirent le beau jaune sport, et ensuite le lecteur de cd, et enfin, un jour, cadeau de l’univers, les lecteurs mp3. Quelle chance extraordinaire que nous avons de pouvoir acheter un à un, individuellement, tous ces petits morceaux d’allégresse. Ce sont mille trésors accessibles au bout des doigts, spécialement concoctés pour nous. Chaque air, chaque mélodie, chaque parole est un souffle vital nous transmettant le secret d’une émotion, rarement la même. J’apprécie et je réalise le privilège que j’ai d’y avoir enfin accès dans son intégralité.
S’assurer d’avoir toujours accès à ce baume
Obsédée par l’envie d’avoir en permanence une joyeuse fanfare dans la tête, je me suis procuré un casque pour les sports d’hiver avec haut-parleurs intégrés et mécontente de nager sans musique et étant persuadée que ça existait, j’ai déniché un lecteur aquatique qui s’accroche sur le casque de bain. Parfois, lorsque je travaille, la musique s’arrête soudainement pour des raisons techniques. Je paralyse alors, incapable de continuer ma tâche. Mon bras, aux cinq secondes, tente de cliquer à nouveau sur le bouton marche du haut-parleur. C’est comme un grand vide qui s’installe, il me manque quelque chose, j’ai besoin viscéralement de remplir mes oreilles de cette lumière sonore.
Multitâches, multiconsolations, multiaides… une chance qu’elle existe
Chez le dentiste c’est ma défense, ma contre-attaque et mon alliée dans cette guerre entre les méchants sons et les gentils sons qui bombardent mon esprit déjà affaibli par la présence de cette personne qui m’envahit.
Si je suis en surcharge, si les indices mènent vers un futur effondrement autistique, il y a parfois elle seule qui puisse me faire retrouver cette route moins paniquée, moins chargée de sensations diverses et inattendues. Je monte le son, je surremplis ma tête, je pousse tout le reste à l’aide de notes que je peux prévoir, connaitre, attendre et laisser ensuite aller. C’est un guide cérébral, une rassurante suite logique. Je peux, pour un instant, faire cesser l’illogique chorégraphie qui partait dans tous les sens avant que je retrouve cette bulle.
En véhicule, c’est le rythme, c’est le monde parallèle qui me permet de retrouver un semblant de calme dans le brouhaha et les décisions si aléatoires des autres humains. Mais pourquoi donc lancer de manière désordonnée ces immenses objets nommés voitures, camions et autres trucs dont personne ne semble mesurer la force. Les règles de la circulation sont si jolies et rassurantes, mais parfois j’ai l’impression d’être la seule à vraiment les apprécier.
La musique, à ce moment, m’accompagne pour donner un semblant de logique à tout ça. Elle calme ma vision et j’ai alors l’impression de savoir à l’avance exactement qui prendra quelle décision étrange à la dernière minute sans l’annoncer; les jolis sons ordonnés ralentissent le temps.
L’hyperacousie, souvent ennemie des autistes-asperger, souvent méprisée par les accès qu’elle me force à ouvrir et qui font que je suis submergée d’un environnement discordant, se laisse pardonner lorsque je l’enferme sous ce casque de bonheur, de détails et de paix musicale.
Il y a aussi des auteurs, qui sans le savoir écrivent des mots porteurs d’un sens qui me colle à la peau. Des les entendre avec cette fébrilité entonner ce que je parfois je considère presque un hymne, le bien que ça fait… comme cette dame :
Allons ensemble, découvrir ma liberté,
Oubliez donc tous vos clichés,
Bienvenue dans ma réalité.
Je veux – Par Zaz
La musique, c’est ma protection lorsque je sors de mon cocon et que je ne suis pas accompagnée par mes amours. C’est un filtre entre moi et le tourbillon incessant de la tempête qui se joue dehors. C’est beau, c’est enrobant, c’est la couche de mousse et le coussin gonflable émotionnel portatif.
Le syndrome d’Asperger – Guide complet – Par Tony AttwoodNous commençons à nous rendre compte qu’écouter de la musique avec un casque peut camoufler le bruit jugé trop intense, et permettre à la personne de marcher calmement dans le centre commercial ou de se concentrer sur son travail dans un salle de classe bruyante.