Ce n’est pas méchant, je pense même que les gens disent ça pour être rassurants, mais cette phrase obscure complètement la réalité. Je vais me permettre une petite mise à jour. Ce n’est pas parce qu’on dissimule temporairement une chose qu’elle n’existe pas. C’est tout à l’intérieur que ça se passe et c’est énorme à vivre. À cacher, encore plus énorme !
L’énergie nécessaire et la concentration demandée pour demeurer neutre d’apparence, c’est un énorme gaspillage. Depuis que j’ai cessé de me cacher, je me sens tellement plus forte, disponible et j’arrive à faire des choses qui m’étaient auparavant inaccessibles. Pourquoi ? Parce que je garde mon énergie pour ce qui a de l’importance et masquer qui je suis ne l’est plus.
Mais parfois je ne veux pas ou je ne peux pas juste être moi. Ces situations sont sournoises, parce que non seulement c’est épuisant, mais l’énergie déployée pour fonctionner devient alors quasi invisible. C’est cruel; plus on fait d’efforts, moins on semble en faire.
Cécile, 43 ansEnfin, il y a une injustice terrible (…), plus tu fais d’efforts, moins les gens se rendent compte de ta souffrance. Or, ces efforts, ils t’épuisent et tu n’as plus l’énergie pour vivre. C’est comme si tu gâchais ta vie pour ne pas les déranger.
Des fois, il faut ce qu’il faut, on doit faire semblant.
Parfois on n’a pas le choix, il faut passer en mode caméléon et ce n’est pas sans conséquence. Ça siphonne, c’est épouvantable. Si j’accompagne l’amoureux à un événement officiel et que je surcharge, je peux passer plusieurs fois en mode zombie dans la soirée pour me recharger et je peux me taire si je me sens mal. Le lendemain et les jours suivants je serai fatiguée. C’est déjà difficile, mais au moins j’ai droit à des «fuites dans mon monde». Je peux couper le contact.
Mais parfois, je ne peux pas traverser dans ma bulle.
Imaginons une situation dans laquelle non seulement il faut faire semblant, mais il faut le faire activement. En participant, sans possibilité de se retirer à l’intérieur de sa tête. (J’peux même pas me sauver !) Je ne suis pas masochiste, ces contextes là, je les fuis et je dis non systématiquement. Je communique mes limites à l’avance au besoin.
Donc lorsque j’ai eu un appel pour faire les photos du bal de finissants de la fille d’une personne que je connais, mon argumentaire pour dire non était prêt. Je croyais bien m’en sortir.
- Je ne veux pas aller dans une foule avec une commande précise comme ça.
- Moi mes photos, je les prends en retrait.
- Je ne veux pas diriger et placer les gens, ça m’angoisse.
- Pour photographier, je dois juste relaxer et attraper ce qui passe.
- Je ne veux pas photographier à l’intérieur.
Je me disais, c’est bon, je n’aurai pas à le faire. Je me trompais tellement. On m’a promis solitude et calme dans un emplacement isolé. Mais la personne a un peu beaucoup perdu le contrôle du nombre d’humaines qui devaient être présentes et je me suis retrouvée avec du monde, mais du monde ! J’étais dorénavant clairement dans la m*…
Choix 1.
- Le dire et mettre tout le monde mal à l’aise dont la jeune fille.
- Conséquence pour moi : pas de surcharge, mais de la culpabilité.
- Conséquence pour la jeune fille : se sentir mal et gâcher ses photos de bal, un événement unique pour elle.
Choix 2.
- Tolérer et donner tout ce que j’ai en masquant mon malaise.
- Conséquence pour moi : surcharge quasi assurée.
- Conséquence pour la jeune fille : de belles photos qu’elle gardera sans doute toute sa vie.
Tout donner et se siphonner pour ne pas blesser
J’ai pris tous les points d’énergie que j’avais en réserve et j’ai continué. Demander à la personne de se placer de diverses manières, juste ça, c’était terriblement anxiogène. Lorsque des enfants se lançaient sans cesse devant l’appareil pour faire les petits clowns, j’ai trouvé que c’était un obstacle technique, mais quand le parent m’a dit de leur dire que j’étais fâchée, ça, c’était bien pire pour moi. Je n’étais pas fâchée, je ne ressentais pas cette émotion. On me demandait de mentir pour me faire écouter et c’est définitivement plus souffrant que d’être dérangée par eux. J’ai donc refusé de nommer un sentiment inexistant ce à quoi on m’a répondu qu’alors ils n’arrêteraient pas. Mon cerveau aspie n’a pas spécialement aimé ce faux dilemme.
J’ai commencé à avoir de solides étourdissements et je marchais de plus en plus lentement. J’avais donné ce que j’avais en banque d’énergie, c’était terminé. C’est là que sont arrivées les autres demandes variées avec un peu tout le monde. Je n’arrivais plus à filtrer (mode politesse désactivé), j’ai dit à quelqu’un qu’elle était toute figée et raide. On m’a proposé de monter sur un deck de piscine pour un point de vue d’en haut, mais je ne pouvais pas, je suis certaine que je serais tombée, car le plancher, visuellement, ondulait de plus en plus.
Je ne sais plus qui est qui.
Ensuite, on m’a demandé de nouveaux assemblages de gens. Lorsque je suis en surcharge, comme ce sont les processus visuoperceptifs qui me permettent de réfléchir et de prendre des décisions, si je dois me concentrer, je ne vois plus rien. À cette étape, dans l’état dans lequel j’étais mentalement, pour moi, il y avait trois entités. L’entité 1, la jeune fille en rouge, l’entité 2, toutes les autres dames (que des taches blanches pour moi), et l’entité 3, les enfants. Je n’aurais plus su dire lequel était lequel. Aucune idée. La confusion régnait dans mon cerveau.
À un moment, il m’a été demandé de prendre un groupe de trois en photo. J’étais dans le trouble là, je ne me rappelais plus de rien, identité des gens, kaput. J’ai donc répondu : Mais dis-leur ? La personne m’a répété la demande, alors j’ai dis : Mais demande-leur ?
Rien n’y faisait, elle ne comprenait pas ce que je ne comprenais pas.
C’est physique, la vue baisse et baisse et baisse pour ne voir que par des petits tunnels lorsque je surcharge. Remettre la netteté, c’est comme tenter de focaliser sur un objet à un pouce de nos yeux. C’est carrément ça.
Je me suis donc retrouvé dans un état épouvantable, avec de grosses nausées, des étourdissements, la vue brouillée et la tête toute molle. Lorsque ça a été terminé, j’ai pleuré et j’ai nommé mon ressenti, car je me sentais enfin la permission de le faire puisque la tâche était accomplie.
Ensuite la personne qui m’avait demandé de prendre les photos m’a écrit quelques mots gentils et tout sur facebook pour me consoler sauf qu’elle a dit : C’est pas grave, ça ne parait pas.
Ça ne parait pas. Le combat invisible.
Elle fait mal cette phrase-là, parce que c’est quand on souffre le plus que ça se voit le moins. C’est tellement traitre comme résultat. C’est pour ça que ça m’a autant fait réagir.
Marie, 28 ansJ’en suis même parvenue à me dire que j’aimerais compenser bien moins facilement, comme ça on ne me dirait plus que ça ne se voit pas et que j’ai de la chance. C’est un combat invisible…
Les apparences, ce n’est tellement pas une priorité !
Ça ne parait pas. Ces simples mots ont solidement résonné dans ma tête et j’ai ressenti une vague de frustration m’envahir. Parce que de cacher la situation m’a tellement fait souffrir plus que si j’avais laissé aller mes réflexes naturels. Ça m’a rappelé toutes ces années durant lesquelles je me suis complètement effacée pour paniquer toute seule en silence. Je lui ai dit : Je me fous de l’apparence, le problème c’est le ressenti. Et j’ai expliqué bien comme il faut. J’ai eu de la chance, elle a ouvert son esprit et n’a pas balayé mes défis du revers de la main.