C’est moi la portière de ma zone de confort. Je connais le coût des sorties. Je dois gérer mon budget autiste et les dépenses ne sont pas les mêmes que pour une personne neurotypique. Ça ne me coûtera pratiquement rien de me concentrer huit heures d’affilée à haute intensité sur un sujet qui me passionne, en contrepartie, la moindre sortie de chez moi fait fondre mes réserves à toute vitesse. C’est moi seule qui sais ce que ça représente comme défi et de toute manière, je ne suis presque jamais dans cette paisible situation, celle d’être confortable.
Avant d’en ajouter, des sorties de la zone, il faut que ça vaille la peine, que je gagne plus que je perde. Si je n’écoute pas mes besoins pour faire plaisir à des gens qui n’ont rien compris à mon fonctionnement et qui tentent de me convaincre avec des psycho concepts sans fondement, je gaspille mes minces économies de « je suis fonctionnelle à l’extérieur », et ensuite c’est moi qui vais en subir les conséquences. Ça veut dire que si je prends la décision de le faire, de prendre le risque, c’est parce que c’est réfléchi et que je suis convaincue que l’investissement en énergie sociale et physique que ça demande va être bon pour moi.
Puis il y a un processus, l’idée doit devenir une réalité pour se concrétiser. L’impulsivité est un concept qui m’est complètement étranger. La nouveauté que je choisis de vivre, je dois l’imaginer, m’y projeter, savoir comment ça va se passer et obtenir le plus de renseignements possible à son sujet. Mais des humains, ça n’aime pas ça se faire harceler pour que moi j’obtienne des montagnes de détails et comme je n’aime pas quand les humains sont fâchés ou irrités, je peux parfois user de stratégie.
Contexte.
Ça fait bientôt trois ans que je travaille à améliorer ma condition, à m’outiller pour mieux gérer mon anxiété. J’ai communiqué sur ma différence, je me suis ouvert des portes que je n’aurais jamais cru possible de franchir, j’ai réalisé combien de personnes étaient ouvertes à apprendre et prêtes à m’accepter, j’ai cessé de me cacher et j’ai essayé de cesser de me détester comme j’étais. J’ai compris que ce n’est pas comment tu nais qui compte, c’est ce que tu fais avec. Ça a été souvent difficile, j’ai eu des hauts et des bas, mais j’ai tant appris. Depuis je vais beaucoup mieux. Mon esprit va bien, ma tête va bien. Donc j’ai décidé de m’attaquer au prochain défi, l’enveloppe qui transporte le cerveau. Le corps ! Carrément.
Je m’entraîne depuis que la neige a fondu et depuis six semaines j’ai augmenté beaucoup l’intensité. C’est intégré à la routine, j’ai réussi à le transformer en habitude et les habitudes chez les autistes c’est super efficace. Mais les pistes de vélo de montagne vont bientôt fermer et courir dans la neige, malgré ce que tout le monde en dit, je ne serai pas capable. J’ai trop de problèmes de coordination, je risque de me blesser. Si je m’entraîne à la maison, je fais n’importe quoi, je ne comprends pas bien les mouvements ni en vidéo ni en dessins. Il me faut des cours avec des conseils.
Se préparer, ensuite, se préparer et lorsque c’est fait, encore se préparer.
J’ai visité les sites web de tous les gyms à distance raisonnable, j’ai imprimé leurs grilles horaires, j’ai regardé les photos des lieux et lu les sites en entier. C’est celui qui mentionnait être pour tout le monde qui m’a donné le courage de pousser un peu plus loin mon exploration. Mais j’avais tellement de questions ! Je tente de me fixer un maximum de trois interrogations pour une chose que je ne paye pas et de huit pour si je paye. Mais j’avais mon idée… j’allais diluer mon trop long questionnaire en plusieurs petits. Ça allait passer incognito.
- APPEL 1
J’ai effectué un premier appel pour évaluer comment était le personnel, est-ce qu’ils allaient nous crier dessus comme je l’avais déjà vécu à un autre gym avec une hystérique en manque de pouvoir ? J’ai pu avoir une première impression de l’ambiance et du fonctionnement. Pour certaines questions, j’en avais déjà trop, on m’a proposé de rappeler le propriétaire plus tard.
- APPEL 2
J’ai téléphoné à ce deuxième monsieur pour faire avancer encore ma liste.
- COURRIEL
J’ai envoyé un courriel via le site web avec de nouvelles questions.
- EN PERSONNE 1
Je suis allé sur place et on m’a offert de visiter les lieux ce qui m’a permis de rayer une bonne partie de la liste de mes interrogations, mais il en restait encore.
- FACEBOOK 1
J’ai trouvé la professeure d’un des sports sur Facebook et j’ai posé mes questions en ligne en écrivant.
- FACEBOOK 2
J’ai réitéré avec la coach d’une autre activité.
- APPEL 3
J’ai appelé à nouveau, ça faisait quand même plusieurs jours, ils m’avaient surement oubliée… j’espère.
- VIDÉOS
J’ai visionné toutes les vidéos disponibles sur leur page Facebook, ils avaient eu l’idée absolument fantastique de filmer les cours mais sans enjoliver. Je pouvais regarder et encore regarder comment ça allait se passer.
- HORAIRE
J’ai amené l’horaire des cours partout avec moi durant une semaine et je l’ai relu chaque soir avant de dormir pour y rêver afin d’avoir une meilleure préparation mentale.
- EN PERSONNE 2
Je suis revenue sur l’heure du midi avant la soirée à laquelle je comptais commencer, avec comme excuse que je voulais éviter la file pour payer le soir mais surtout, j’ai pu encore demander des précisions.
Pourquoi tout ça ? C’est pour visualiser et vivre les choses avant de les vivre. Ça atténue le choc de la nouveauté. Pas au complet, jamais, c’est toujours très angoissant, mais ce que je peux gagner là c’est déjà ça. Parce qu’ensuite, un tas d’imprévus se présentent et nous attaquent pour nous désorganiser. Toutes les choses préalablement répondues servent de points de repère. C’est extrêmement utile pour nous donner plus de liberté. Vous imaginez si j’avais demandé tout ceci en une seule fois ? J’aurais épuisé ma source. Rire. Et si je ne l’avais pas fait, je n’aurais pas pu affronter tout ce que j’avais à affronter.
Pilates.
Ma liste en trois colonnes par sujets de bagages pour le premier entraînement comportait 21 articles. Je déteste ce nombre et je ne voulais pas encore le mettre dans mon blogue, mais je ne suis pas capable de mentir. Bref, rien n’était laissé au hasard.
À l’arrivée j’ai demandé mon chemin pour l’activité, mais je n’ai rien compris, alors j’ai un peu exploré jusqu’à parvenir à l’agglomération évidente d’une activité à venir. Dans un corridor pas très large étaient amassées plein de personnes en pleine effervescence, à l’aise, contentes, elles se partageaient leur enthousiasme en parlant et en riant. Ça me frappe à chaque fois ce décalage. Je culpabilise d’être celle qui regarde au sol, qui ne sait pas approcher les gens, je déteste ça. J’ai honte parce qu’en fait, j’aime les gens, mais je ne sais pas comment faire les choses.
Je n’ai pas réalisé immédiatement que mon réflexe m’avait fait coller le mur opposé au leur et que j’étais seule de mon côté. J’ai compris lorsque le flot de la salle pleine se vidant pour nous laisser la place, s’est frayé chemin avec seulement moi, du mauvais côté comme à l’habitude, qui bloquait la fluidité de la foule. À chaque fois que j’aurais pu traverser pour être moins coincée j’ai pris trop de temps à me décider et le courant a recommencé à emplir l’espace.
Dans la salle, les tapis épars juchaient le plancher, aucun n’était dans le même sens, comme un advienne que pourra incontrôlable. Je ne pouvais les regarder, je me suis donc concentrée sur le mien, pour qu’il suive bien les lattes du plancher, au moins mon espace serait discipliné.
Mes problèmes de coordination ont probablement été évidents parce qu’à un moment, la professeure a demandé à un élève de prendre sa place et elle s’est installée tout juste à côté de moi pour que je comprenne mieux. C’est gentil je trouve. J’étais gênée, mais je préférais ça à faire n’importe quoi.
Mais le vrai défi ce fut le toucher. J’ai eu ma leçon, je sais maintenant que les coachs doivent nous toucher pour expliquer. Ça a déjà fâché quelqu’un dans un sport ce qui m’avait fait beaucoup, beaucoup de peine parce que je ne savais pas dans ce contexte que c’était nécessaire. Si j’arrivais à comprendre en regardant, ou en me faisant expliquer je pourrais m’en sortir, mais moi, les mouvements, dans mon cerveau, ils ne veulent absolument pas coopérer. Si je ne veux pas me blesser, il faut que je vive avec le fait que parfois, la coach doit prendre un morceau de mon corps pour le disposer dans la bonne position. C’est ça ou pas de sport parce que sans la bonne technique, je ne pourrai pas continuer. Et je veux, vous n’imaginez pas à quel point je veux. Je suis déterminée. J’en serre les dents très fort.
Après, bien entendu, il y a eu des contraintes telles que celle de l’écho, cette terrible résonance et des poids et altères en fonte dont l’odeur collée sur mes mains a traversé ma gorge sans jamais cesser son intrusion et le fait que je ne cessais de renverser ma gourde en métal ce qui causait un véritable bruit de fin du monde et aussi que je ne savais pas où me placer lorsque nous nous dirigions tous vers la réserve pour changer d’outil. Ça semble si facile pour les autres et moi je suis là à envisager et à évaluer toutes les possibilités et leurs conséquences. Dans quel ordre me rendre ? Comment me placer ? Quel objet prendre ? Avec la main gauche ou la droite ? Je dois en prendre un autre pour la personne suivante en même temps, pour l’entraide comme la plupart savent le faire, sûrement, mais si je le fais, je ne saurai pas qui prioriser et je me sentirai mal vis-à-vis de la personne à qui je n’en donnerai pas. Oh… C’est tellement stressant. Ensuite je dois m’éloigner pour laisser les autres passer, mais ça implique que je doive me faufiler. Oh oui, il faut aussi penser à respirer parfois.
J’ai cette sensation de ne jamais vraiment savoir où se trouve mon corps. On dirait qu’il m’échappe, se détache, s’effrite et ne tient pas ensemble. Je n’aime pas ça. Les couvertures lourdes ou les outils sensoriels m’aident, mais cette impression instable me suit en permanence. Avec ce nouveau sport, le Pilates, je sens des zones rectangulaires se coller sur mon corps, comme si on avait gratté très fort sous ma peau, ça brûle d’une raisonnable manière et j’adore ça. Ça dessine le contour de moi en sensation sans que j’aie besoin de frotter dessus pour recoller les morceaux. Étrangement cette douleur me rassure et m’enveloppe, ce n’est pas une douleur de blessure, c’est autre chose. Il fallait que je fasse ce qu’il faut pour ne pas me placer encore dans une situation dans laquelle je ne pourrais plus pratiquer une activité que j’aime.
J’ai communiqué sur mon fonctionnement à la coach (en écrivant bien entendu, vive l’écriture, c’est tellement plus facile) et ça s’est parfaitement bien passé. Elle a été ouverte et gentille. Conséquences négatives : zéro. Conséquences positives : ça va éviter bien des malentendus pour si j’ai des difficultés des blocages ou des drôles d’attitudes qui pourraient laisser croire à autre chose. Mission accomplie.
Cardio intense mélangé avec de la musculation et plein de mouvements compliqués que je n’arrive pas à comprendre. Ça, c’est le nom du deuxième sport.
Je vais parler d’un truc que je fais avec lequel je ne suis même pas d’accord. Parfois, pour me simplifier la vie, je fais semblant d’être normale pour un court instant. Je me plonge dans la peau d’une personne que je ne suis pas pour obtenir un renseignement rapide ou pour me débarrasser plus efficacement d’une situation.
En arrivant ce jour-là pour l’autre sport, celui qui allait servir à brûler des calories, un homme se trouvait dans l’entrée. Je me suis dit, pas le temps que ça traîne, tu vas faire comme si tu étais en confiance et tu vas demander c’est où ce sport. Mais le problème c’est qu’il était le coach et je venais de faire semblant d’être bien cool et relaxe. Saleté ! J’allais devoir maintenir ça, sinon il allait penser que c’est parce que je n’aimais pas son cours. Alors j’ai tenu vous croyez ? Bien non voyons, faire semblant c’est bien trop demandant pour se concentrer sur un sport en même temps.
J’ai voulu lui expliquer quels mouvements je n’avais pas le droit de faire à cause de soucis du corps, mais j’étais tellement stressée et angoissée que ça sortait n’importe comment. Il me répondait, ok, ça, ça t’appartient. Qu’est-ce que ça veut dire cette réponse ? Est-ce que c’est que j’ai le droit ? Que c’est moi qui dois m’en occuper ? Qu’il ne faut pas que je le dise ? Que c’est à moi de prendre la responsabilité de le dire à mesure ? C’est quoi la réponse : Ça t’appartient ? Que c’est confidentiel ? Je n’avais aucune idée de ce que je devais faire avec ça et mon angoisse est décollée solide.
Nous sommes descendus et j’étais la seule arrivée. Lorsque s’est présentée une deuxième personne, le professeur a mentionné que la DJ venait d’arriver. J’ai donc répondu, wow, ça me fait deux personnes pour moi seule ! Elle a mis une musique, mais ce n’est pas vraiment ce que je pourrais appeler une DJ, elle ne s’occupait même pas de changer les chansons manuellement, à la place, elle s’entraînait aussi. J’ai trouvé son attitude assez bizarre. Et puis j’ai compris. C’était une blague. Je n’ai pas pu me retenir de le dire tout haut. Ahhhh ! Tu n’es pas DJ en fait ! J’avais vraiment besoin de dire ça ? Elle a fait non, mais j’ai senti que j’avais gaffé.
Ça commençait mal. Je ne sais pas sauter à la corde à danser, je ne sais pas imiter les mouvements des autres, je ne sais pas faire le chassé-croisé, je suis lente, ça pourrait aller, mais ce n’est pas que ça. Je bloque devant les cubes par-dessus lesquels il faut sauter parce qu’on doit les regarder dans leur ensemble pour parcourir cet obstacle et je ne regarde qu’une chose à la fois. Les autistes, ça voit l’aiguille avant la botte de foin et comment ça se traduit dans mon cas, c’est que je ne comprends plus rien de mon environnement si je suis fatigué ou en effort. Je vois des détails avec précision, mais la totalité, du tout.
Et on change de pièce en plein milieu des entraînements pour faire d’autres exercices. Une pièce sent sucrée, comme si quelqu’un s’était nourri de danoises durant un an et avait transpiré l’ensemble de cette alimentation en une seule fois, une pièce sent le caoutchouc comme si on m’avait ensevelie de pneus et qu’un soleil plombant faisait s’évaporer des morceaux noirs et brûlants. Cette même pièce, à son extrémité, donne sur un vestiaire dont je ne décrirai pas les effluves. Une pièce sent un mélange de métaux et de produits nettoyants, et une autre pièce sent le parfum féminin, car c’est la salle dédiée aussi à la Zumba, au Pilates et à d’autres activités plus populaires auprès des dames. À chaque fois, je dois refaire un processus de fermeture d’informations trop présentes pour ne pas que l’envahissement par les odeurs me rende complètement non fonctionnelle et c’est très demandant émotionnellement.
Note aux non-initiés.
Les autistes ont des hypersensibilités sensorielles. Ce gym est propre pour si jamais certains savent duquel je parle. Le problème n’est pas le lieu, c’est mon nez avec ses super pouvoirs.
Il y a eu plusieurs moments d’exaltation, comme lorsque je me suis exclamée que le demi-ballon avait un potentiel ludique et était trop amusant ou lorsque j’ai réussi à suivre une cadence de mouvements dans le miroir. Ouahhhh, le chatouillement partout dans mon corps de réaliser un court instant une telle synchronicité ! Donc, malgré tous les défis, j’avais vraiment envie de continuer. J’étais si contente lorsque parmi tous les gants de boxe disponibles le coach m’a dit que c’était les bleus que je devais porter, sauf qu’ensuite il m’a demandé d’enlever ma montre pour les utiliser.
Oh non, je ne veux pas, elle me donne des trophées.
Ce n’est pas sécuritaire, tu pourrais te blesser. Tu vas le faire quand même ton exercice. Ça ne change rien. Tu vas le sentir quand même.
J’aime vraiment ce que ce cours fait à mon corps. Je le sens qu’il travaille de plein de nouvelles manières et que ça va m’aider à mieux bouger, à être plus forte et à perdre le poids de trop. Mais je fais tout de travers. Nous sommes un tout petit groupe et tout le monde interagit sauf moi. Je ne suis pas anti sociable, j’ai peur, ce n’est pas pareil. Le pire c’est que j’aime parler aux gens. Souvent. Beaucoup même. Mas j’ai peur. Peur des conséquences, peur de gaffer, peur de fâcher les personnes. Je ne fais que ne pas comprendre et je me sens mal, je le sais que je suis un problème, que je dérange dans ce cours.
L’autre matin, lorsque la “DJ” est entrée, j’ai tenté un signe de tête. Et ensuite j’ai détourné le regard, trop angoissant. Le coach est arrivé et me l’a présenté. J’ai trouvé étrange qu’il se décide à nous introduire après autant de temps. C’est sorti tout seul. J’ai dit : Mais ce n’est pas la même que la dernière fois ? Mais en fait ce n’était pas elle. Je ne sais pas si elles se ressemblent, mais même une à côté de l’autre, je ne vois pas la différence. J’ai tenté d’autres points de repère, mais vraiment, je ne trouve pas.
Mon angoisse ne cessait de grimper et de grimper, je m’inquiétais. J’avais peur que mes difficultés me fassent encore mettre dehors d’une activité à laquelle je tiens. Et c’est chargée émotionnellement que j’ai commencé une nouvelle série d’exercices que le coach a pris le temps de bien expliquer. Ça semblait très clair. Jusqu’à ce qu’il explique le suivant et ainsi de suite. J’oubliais au fur et à mesure. J’ai bien tenté d’observer les personnes qui me précédaient aux différentes stations, mais si je les regardais j’oubliais le mouvement que je faisais. Donc c’était soit faire mon mouvement, soit tenter de retenir le prochain. Dilemme impossible. Je l’ai senti quand j’ai commencé à paniquer. Je me suis dit, tais-toi, tais-toi, tais-toi, tu es capable de te taire, tais-toi…. Mais à un moment c’est sorti tout de travers, j’ai éclaté en sanglots et en panique j’ai dit : Tu ne vois pas que je ne comprends rien ? Pourquoi tu ne m’aides pas ? Et j’ai pleuré encore. Il s’est levé calmement, n’a fait aucune expression intense, rien pour m’empirer, m’a expliqué le mouvement et est retourné à sa station. Mais je le savais que j’étais en surcharge et que j’étais probablement vraiment froide et pas très gentille. Je suis repartie chez moi et j’ai pleuré toute la journée.
Je lui avais déjà expliqué mes problèmes de coordination et le fait que j’étais autiste, pourquoi il ne m’expliquait pas mieux ? J’ai demandé des conseils et on m’a dit que s’il était vraiment habile en sports, il ne pouvait probablement concevoir l’ampleur de mes difficultés. Il devait penser que je ne me forçais pas. On m’a dit que je devais mieux expliquer. J’ai donc écrit un « petit » message d’explications. 1 367 mots… 4 pages imprimées. Et je lui ai remis au cours suivant. Il a lu en silence et n’a rien dit. Il m’a aidé beaucoup durant ce cours, car c’était particulièrement complexe et tout à coup j’ai eu cette illumination. Ce cours, à six heures du matin, avec deux à trois élèves seulement, ce n’est pas rentable, c’est impossible… et je lui ai posé LA question.
Vous êtes payé pour donner ce cours ?
Non, je suis bénévole, ce n’est pas assez un gros groupe.
Je crois que les muscles de mon visage ont fondu de désespoir. Ça changeait complètement la dynamique.
Ce n’est pas un impulsif. Il réfléchit. Il a attendu à la toute fin pour me parler de lâcher-prise et de quelques autres concepts. Une chance qu’il est calme parce que moi j’étais en panique totale. S’il avait fallu qu’il s’impatiente, c’est presque certain que j’aurais eu un meltdown autistique, j’étais trop envahie, incapable de gérer l’afflux d’émotions.
Il a commencé cette phrase : « Peut-être que tu pourrais… » et là j’étais persuadée qu’il allait dire « …te trouver un autre cours. » mais non, il a dit « …te donner un mois pour essayer encore. » Je croyais tellement qu’il allait sauter sur l’occasion de mettre à la porte le problème du groupe.
Ensuite il a commencé à mentionner ses prochaines vacances, assez longues, et je me suis encore dit, ça y est, il va se servir de cette période pour m’arrêter, mais non il voulait me préparer au fait qu’une autre participante le remplacerait.
Une troisième fois, il a dit : « Si tu me permets… », et là je l’ai vu hésiter donc je ne suis dit, c’est là que ça se passe, il va me faire sentir qu’il ne veut pas de moi, mais au lieu de ça, il cherchait sa manière de proposer d’expliquer au reste du groupe ma différence. Il m’a dit que ça éviterait que je sois stigmatisée ou jugée. Je crois comprendre que c’est probablement déjà le cas et qu’il veut réparer pour éviter que je ne sois plus mal que je ne le suis déjà. Ce n’est pas l’attitude de quelqu’un qui veut me mettre dehors ça. Je vais essayer de cesser d’avoir peur que cette horrible situation, celle d’être rejetée, ne m’envahisse en permanence.
Je demeure quand même avec une crainte, car je ne sais pas quels mots il va utiliser. J’ai pratiqué un paquet de possibilités, pour s’il fait une erreur, et je n’arrive pas, même préparée, à imaginer une réponse ou une réaction qui convienne s’il dit une chose qui ne corresponde pas à la description de moi. Ça me stresse c’est fou. Je saurai lundi.
Le fait qu’il ne soit pas payé change tout. Je ne peux pas être aussi exigeante et lui demander de toujours me corriger. Il me faut un plan B. J’ai passé la journée suivante à y penser et j’ai trouvé. Je me suis fait de nouveaux amis dernièrement. Lui est Asperger et sa conjointe, je ne sais pas elle est quoi, mais elle n’est pas typique. Je ne pensais pas qu’il me restait de l’espace amitié de disponible, je croyais que c’était restreint, mais on dirait que c’est agrandissable. Cet ami Asperger a un paquet de documents qui expliquent en détail les mouvements de ce type, ceux des entrainements en salle. Comme moi, il en a eu besoin. Demain je vais aller les voir et lundi, je vais me présenter au cours avec ce nouvel outil. Je pourrai sortir les feuilles correspondantes pour au moins me donner une chance.
Quand j’ai raconté l’histoire à l’amoureux, il a dit : C’est quoi la première chose ? J’ai essayé : Communiquer ? Il a dit non. J’ai essayé : Me calmer ? Encore non. Nommer le monstre ! Il a dit : Bon ! Tu le sais, mais tu as encore de la difficulté. Tu le vois, quand tu nommes les choses, ça fonctionne bien mieux. Moi-même, souvent, je ne te comprends pas et ça fait 16 ans qu’on est ensemble alors imagine les autres…
Nommer le monstre c’est de nommer ce qui nous fait peur, c’est de nommer nos difficultés, c’est de nommer ce qui nous empêche d’avancer parce que une fois que le monstre est nommé, il perd de son pouvoir destructeur.
Et lorsque je lui ai nommé le titre de l’article, Même si je le veux très fort, la nouveauté n’est jamais simple, il a ri et répondu : C’est clair !
Lire article : Nommer le monstre