Je connais les illustrations, les expressions, surtout celles du Québec, et une fois que je les ai apprises, même si je pense d’abord et avant tout en images, je peux traduire. Je vois toujours l’image associée aux termes, mais d’un point de vue extérieur, la communication est fluide.
« J’ai les pieds en feu » va un peu plus me marquer, et « Il a tout donné » va me laisser imaginer une personne décharnée et d’une extrême pauvreté. Mais je fonctionne : la traduction roule à vive allure.
Par contre, il y a les premières fois. Il y en a toujours. Et dans ces moments, on peut clairement déceler les étapes vers une compréhension. Et le délai… Il y a ces secondes de suspension où j’ose à peine imaginer la confusion qu’on doit lire sur mon visage. Rire.
La petite anecdote
Je devais me rendre à Montréal et prendre avec moi deux passagers. Mon amie, très créative lorsqu’il s’agit d’utiliser les mots hors de leur contexte original, me répond : Tu les accroches où ?
Étape 1
J’ai vu un crochet sur lequel un humain était suspendu par le capuchon, comme s’il devait sécher après s’être roulé dans la neige. Constatant l’absurdité de l’image, je suis partie en quête de la bonne signification. Temps écoulé : 2 secondes
Étape 2
Pour comprendre une expression, je démarre habituellement de ma position dans l’histoire initiale. Je suis assise dans mon véhicule, et les déplacements s’effectuent donc à l’horizontale, ce qui me fait éliminer l’indice lié à la première image, celle de quelqu’un accroché sur un mur. Temps écoulé : 1 seconde
Étape 3
À l’image de moi qui me déplace avec un crochet en main et celle de moi dans une chaloupe taquinant le brochet, se superpose l’image d’un véhicule en mouvement attrapant des humains par la fenêtre. Tout fusionne enfin vers une conclusion logique : conduire et récupérer des gens à un point de rencontre. Temps écoulé : 1 seconde
Temps total : 4 secondes
Réponse donnée : Je ne comprenais pas le mot « accroche ».
À sa question, je n’ai donc jamais répondu, et c’est elle qui a proposé le lieu le plus plausible : le Bureau d’information touristique. Je savais la réponse, mais c’est comme si, durant ces quelques secondes, ma bouche et mon cerveau étaient tout englués.
Point de vue externe
Comme je suis entourée de personnes bienveillantes qui m’aiment, c’est juste drôle et ça me fait sourire. Mais imaginons la même situation avec quelqu’un qui ne me connaît pas, et donnons-lui la parole sur l’histoire. Voici ce qu’elle pourrait raconter :
« Hey, je lui ai juste demandé où était son point de rencontre, et c’est comme si je lui avais demandé de calculer le trajet vers la lune. Cette fille-là est tellement pas là, on peut voir le vide dans son cerveau… »
Conclusion
Ça vaut la peine de comprendre comment ça peut se passer pour nous. Ça change complètement la perception. Je ne suis pas quelqu’un qui, durant 4 secondes, a eu le cerveau exempt d’images et d’activités. Je suis quelqu’un qui a dû faire une enquête pour trouver la signification d’un mot. Il s’en passe des affaires !
Rire.
P.S. Les autistes aussi ont de l’humour !