Fin octobre. L’horreur. Ce ne sont pas fantômes et sorcières qui me perturbent tant, mais bien le super méga immense souper annuel, la soirée de bienfaisance, celle durant laquelle d’année en année il y a entre 800 et 1000 personnes. Celle qui va à l’encontre de toutes mes capacités, celle qui me clame haut et fort à quel point je ne suis pas faite pour ça et celle qui me pique de ses innombrables épreuves auxquelles je devrai gentiment sourire, parce que cette soirée-là, elle permet d’amasser des sommes considérables pour les enfants malades et/ou dans le besoin et mon conjoint est impliqué dans l’organisation. Il y a donc cette petite (mais cruelle) voix qui me dit, ces enfants souffrent plus que toi, alors arrête de chialer et fait un effort. Donc je le fais.
C’est toujours étonnant le contraste de perception d’un tel événement. Alors que les neurotypiques sont tout contents d’aller joyeusement festoyer, moi j’angoisse et je tente de me préparer mentalement non sans avoir l’impression depuis une semaine que mon propre ventre tente de me dévorer. Il lui a poussé des dents on dirait, je le sens creuser de plus en plus une sorte de chemin de panique… peut-être que j’ai mangé un trou noir et que je vais imploser dans ce gouffre d’angoisse ?
Préparer l’événement c’est comme emballer un cadeau pour soi, mais dedans c’est un coup de poing à ressort.
Bravo moi ! J’ai plein de nouvelles capacités que j’ai pratiquées cette année, de nouveaux trucs et de nouvelles approches en réserve. Alors à la soirée de préparation, la veille de l’événement, je vais les tester. Ça, c’est l’objectif. Pour ce faire, j’ai tooouuuuut bien révisé dans ma tête et j’ai préparé et mémorisé un énorme paquet de schémas et de possibilités de conversation. Je suis pleine de bonne volonté.
Maintenant, retour à la réalité
- Chériiiiie ! Les enfants !!!! On s’en vaaaa !!!!
- Quoi ? Mais notre fils n’est pas arrivé du badminton ? On ne peut pas partir tout de suite !
- On prendra deux véhicules, tu viendras nous rejoindre après…
- Mais non ! Oh non ! Ce n’est pas comme ça que c’était prévu ! Je ne pourrai pas arriver dans la pièce un peu plus tranquille du début, celle dans laquelle on s’assoie, alors je ne pourrai pas dire Bonjour de la manière à laquelle je m’étais préparée ! Je ne pourrai pas arriver doucement ! Je ne pourrai pas aller chercher mon lunch à l’épicerie ! Je ne veux pas y aller à l’épicerie, ça va tout de suite me placer en surcharge et je serai brûlée avant d’arriver ! Puis les stationnements sont tout petits là bas, on est tout coincé, toute ma préparation prend le bord puis je ne me sens pas bien là ! Ce n’est pas comme ça qu’on était censé faire. Je déteste me faire dé-préparer. Les chemins étaient tous faits dans ma tête puis là c’est une route barrée. Ça me déstabilise !
J’ai donc attendu mon fils et j’ai préféré ne pas souper plutôt que de me rendre seule à l’épicerie. Une banane et une pomme pour me dépanner et hop, direction bénévolat pour préparer la soirée de demain. Une chance que je n’y suis pas allé dans ce lieu bruyant, suréclairé, bourré de gens stressés et impatients parce que même en n’y allant pas je n’ai absolument pas réussi à faire comme je l’espérais. Je m’étais imaginé que comme j’ai tellement pratiqué mes nouvelles habiletés au club photo, ce serait plus facile ce soir. Pas tant…
C’est assez étrange comme sensation, celle de ne pas avoir le droit d’être quelque part. Je n’arrive pas à comprendre quel conditionnement exactement m’amène toujours à me sentir nuisible, mais j’aimerais bien démêler ce nœud parce que je me prends les pieds dedans à chaque fois que je tente des approches.
Je ne veux pas tomber dans la paranoïa, ce n’est pas constructif, mais j’ai tellement peur de taper sur les nerfs aux gens. Ça ne m’emballe nullement de tenir le rôle de la mouche fatigante.
J’aimerais être une personne agréable. Mon souhait, ce serait d’arriver à transmettre à l’extérieur de moi ce qui se passe à l’intérieur, mais souvent, ça donne l’effet contraire et je suis soit trop froide ou soit trop familière. Je n’arrive pas à bien savoir comment et quand faire quoi. Doser est inatteignable. J’ai donc passé la soirée à prendre des photos de tout ce beau travail que les autres accomplissaient, mais j’étais triste parce que l’ensemble de mes approches tombaient à plat. J’ai vraiment essayé du plus fort que je pouvais. J’ai tenté des blagues, des commentaires, des questions, et malgré tout, force a été de constater que je ne l’avais pas pantoute comme on dit en bon québécois.
La vraie soirée
Ce soir on se déguise, c’est comme ça que j’appelle ça lorsque je dois ressembler à une dame. Comme j’ai mis la même robe à tous les soupers depuis un méchant bout de temps, il commence à être temps que je me procure un nouvel emballage à corps trop serré, qui m’énervera, qui me fera sentir totalement absurde, mais qui pour une raison obscure fera dire aux autres humains : T’es ben belle ce soir !
Pas question que j’affronte le vrai centre d’achat. Mais j’ai de la chance, à côté de chez moi on en a un qui est toujours désert, surtout en semaine, donc comme à chaque fois que j’ai besoin d’un ensemble chic, je vais à la même place, toujours la même boutique, jamais je n’ai acheté quoi que ce soit de ”sérieux” ailleurs que dans cette chaine. J’aime ça, c’est prévisible, je sais exactement quelle sera l’ambiance, la lumière, comment sera la cabine, tout. C’est donc là que je me dirige, bien décidée. Je ne suis pas une cliente simple, tout me pique, tout me brûle, tout m’agresse et je me sens stupide habillée comme ça. Je répète en boucle mon inconfort parce que ça prend toute la place dans ma tête. La dernière fois, il y a deux ans, la jeune fille avait été d’une patience exemplaire ! Je suis donc confiante. J’entre dans le centre et je suis fière de ma décision. Le silence règne, j’entends chacun de mes pas résonner et le caoutchouc de mes bottes fait un petit bruit de succion qui m’amuse… je me dirige avec détermination sans détour et sans perte de temps. Le désavantage de ce genre de lieu, calme et tranquille, c’est que…. c’est fermé. Fini. Kapout. Il n’y en a plus.
Il est impensable que je magasine ailleurs, donc, je ne magasinerai tout simplement pas. Je retourne sur mes pas et j’entends, mademoiselle, excusez-moi ? Une toute petite vieille dame me regarde avec un immense sourire, et là je me dis, j’espère qu’elle ne me posera pas une question sur les magasins parce qu’elle va être déçue !
Mais non, ce n’est pas ça. N’oubliez pas, des fois j’ai l’impression de vivre au pays des Bisounours tellement les gens de ma région sont gentils. Cette dame voulait juste me dire que mes bottes étaient trop jolies et que j’avais l’air ensoleillée ! Ensoleillée ! Sérieux ?
C’est comme un compliment tellement mignon. Je n’ai pas envie d’être un pétard, ou d’être sexy. Je n’ai pas envie d’être à la mode ou de me faire complimenter sur des choses insipides. Mais de me faire dire que je suis ensoleillée ? Ça m’a fait vraiment plaisir. Je veux bien.
C’est de ma faute
Je n’ai pas envie d’appeler le traiteur de la soirée pour savoir ce que j’ai le doit de manger (j’ai une intolérance). Ça me serre la gorge, ça m’angoisse et ça attaque directement ma peur de déranger parce que là c’est pour vrai de vrai, je dérange. Je me sens désagréable quand je fais ça, demander de la sorte et ça va complètement à l’encontre de ce que je souhaite (ne pas nuire).
De mon côté la dame a été bête, froide, elle ne m’écoutait pas, me répétait en boucle qu’elle ne ferait pas de spécial pour moi, même si j’ai répété trois fois que je voulais juste savoir si j’avais le droit de manger. Elle a soupiré, s’est impatientée et m’a dit que je dérangerais le chef.
Ensuite, une membre de la famille de mon conjoint a fait le même appel que moi… puis ça s’est suuuuper bien déroulé. Elle était morte de rire en m’expliquant qu’ils ont été très gentils avec elle et qu’elle ne comprenait pas pourquoi ça n’avait pas été le cas avec moi. Hébétée de suis allé rejoindre mon conjoint, et j’ai dis : C’est de ma faute. Le problème c’est moi.
Je sais maintenant pourquoi
On a analysé avec mon amoureux toute l’interaction, et il m’a expliqué ce que j’ai fait de mal. Comme je savais les cuisiniers occupés, j’ai été d’une efficacité monstrueuse et je suis allé droit au but. J’ai été polie, douce, mais expéditive. Je suis déjà comme ça à l’avance. Je ne prépare pas, je n’emballe pas, les conversations n’ont pas de préliminaires, jamais. Alors si en plus je désire précisément être efficace, là, maintenant, c’est très intense. Vous allez dire que c’est illogique sans doute, mais il parait que les humains, plus ils sont pressés et stressés plus il faut prendre notre temps. Il aurait fallu que je m’enquière à savoir si la personne allait bien, il aurait fallu que je me présente, il aurait fallu que mon appel soit plus long. Donc parce que la personne n’a pas de temps, il faut lui en enlever encore plus sinon elle le ressent trop, ou un truc du genre. C’est totalement et complètement contre-productif, mais mon amoureux qui n’a aucun problème avec les interactions sociales, bien au contraire, m’affirme que ça fonctionne comme ça. Franchement… Je suis bouche bée.
C’est l’heure
Courage, je ne peux pas rester tapie chez moi, il est temps de partir. C’est quand je demande l’aide de mon amoureux pour attacher le haut du fermoir que je réalise que j’ai oublié que j’avais des aisselles, et ça depuis bien trop longtemps. Oups. Oups. Oups. Pas le temps de retourner à la douche, je m’organise avec les moyens du bord. Mais comment je peux oublier des choses aussi basiques ? On dirait que parce que je les ai oubliées une fois, ça s’est enlevé de ma liste de tâches séquentielles. En fait, je sais exactement quand c’est arrivé. J’ai changé de shampoing et donc de rythme dans mes tâches lors de l’entretien du corps. Depuis ce jour, je n’ai pas rasé mes dessous-de-bras. N’importe quoi…
Mon conjoint retourne vers la porte et juchée sur mes chaussures (vraiment pas si hautes), je trébuche et tombe sur lui. J’ai vraiment la coordination d’un chihuahua en patins à roulettes qui aurait mangé du sucre.
Cette année j’ai un graaaaaaand sac à main puis je vais prendre des photos. Donc pour tout le début de la soirée ça se passe bien mieux que les autres années. Je suis contente. Je monte à l’étage supérieur pour saisir la décoration que les étudiants ont conçu puis je relaxe. C’est beau, c’est vaste, c’est silencieux. Puis je suis toute seule, là-haut, à prendre une pause. Pourquoi je n’ai pas fait ça les autres années ? On devrait avoir un protocole nous les autistes. Avoir le droit de prendre toutes les pauses du monde, ça nous rendrait plus disponibles. J’ai de la chance de pouvoir le faire. Grâce à ça, c’est comme si je retirais le chaudron du feu à chaque fois qu’il est sur le bord de déborder. Donc l’eau (la surcharge) se résorbe à chaque pause.
Ensuite on est allé rejoindre le couple de la famille, puis au lieu de me promener partout, mon amoureux a fait plein d’aller-retour tout seul sans moi et j’ai pu rester tranquille dans un petit coin près d’une fenêtre longtemps. C’est tellement, tellement mieux.
Surtout, surtout, surtout, cette année, j’ai décidé de parler ouvertement de mon asperger. Ce n’est quand même pas de ma faute si je suis autiste. Je ne suis pas une criminelle, ou une malade contagieuse, je suis juste d’un fonctionnement différent. Mais pourquoi, si longtemps j’ai eu honte et c’est encore le cas, je ne comprends tellement pas ! Elle me l’a dit mon interlocutrice hier. Avant, elle se demandait ce qu’elle m’avait fait de mal pour que je la traite comme je la traite. Moi, dans ma tête, comme je la respecte, je n’arrive pas à savoir ce que je faisais incorrectement. Si je la méprisais ou autre, je ne serais pas surprise que ça paraisse, mais ce n’est pas le cas. Ça veut dire que j’arrivais à faire croire à une personne que j’aime bien que non. C’est tellement frustrant.
La solution était à portée de main, la preuve est là. Maintenant ma relation avec elle et son conjoint s’en retrouve bonifiée. Je suis tellement contente ! Ça m’enlève un immense poids, merci.